Accueil » Morceaux de textes choisis » Réunir ce qui est épars

Réunir ce qui est épars

            Morceaux de textes choisis

morceaux2
 Travail 

Réflexion sur un vieil adage maçonnique                

 Thème 

 »réunir ce qui est épars »           

  Auteur

Un Maître-Maçon de l’Ordre du REP…..

A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers,

         Selon Le Petit Robert, le concept de ‘’réunir’’ s’applique aux objets comme aux personnes. Pour les objets, il s’agit simplement de les assembler, de les relier, de rectifier leur éparpillement par la réunion de morceaux séparés, tel un puzzle, un jeu de société qui éveille l’attention des plus jeunes comme des plus âgés. Il est aussi question de mettre ensemble les objets qui forment un tout cohérent pour les grouper, les rejoindre, et les unir, soit associer des éléments de nature similaire. Ce peut être également pour obtenir la réunion de facteurs d’origines diverses, mais parfois complémentaires ou comparables mais également opposées. C’est aussi concilier, confondre, cumuler plusieurs éléments. Et cette notion de conciliation s’applique aux humains, qui découvriraient, chez des personnes jusqu’alors étrangères les unes aux autres, une tendance à déceler des affinités qui les rapprocheraient.

Quant aux personnes, on entend par ‘’réunir’’ les réconcilier, les associer, les rassembler.  De la sorte, ce mot signifie aussi rapprocher des êtres distincts, séparés, divisés, s’ignorant mutuellement ; cela afin de constituer un ensemble, un tout, même si précédemment éparpillés ou divisés, soit par hostilité, soit par des circonstances qui ont favorisé la désunion, ou encore par un éloignement sans discorde particulière. Ce tout peut reconstituer un ensemble homogène d’individus, sinon proches, du moins d’esprit compatible ou analogue, ou bien un ensemble non uniforme voire en opposition, dont l’association et la promiscuité permettraient de constituer une harmonie (des hommes) riche et variée, un nouvel équilibre, une cohésion qui trouverait une raison de refaire surface dans une unité recherchée et fructueuse. En d’autres termes, ‘’réunir ce qui est épars’’ a pour objectif de constituer un ensemble d’individus solidaires les uns des autres, même disparates, qui pourraient devenir complémentaires, proches même si distincts, qui pour moultes raisons ont été séparés et divisés les uns des autres.

D’après les Constitutions d’Anderson, la Franc-Maçonnerie a été fondée « pour réunir les hautes valeurs morales (de ses Membres) qui, sans elle, auraient continué de s’ignorer, et pour être le centre de l’Union. »   Il est donc clairement établi que la Franc-Maçonnerie, qualifiée d’universelle, autrement dit sans exclusive, se propose de réunir des gens de hautes valeurs morales, sachant que sans cette Institution lesdites valeurs morales ne profiteraient qu’à très peu ou point de personnes, dispersées à jamais de façon éparse, ou qui se seraient retirées volontairement ou non dans un parfait isolement.  Si l’on s’en tient à ces propos de valeurs morales (au pluriel), celles-ci nous renvoient bien naturellement à la Morale, aux Vertus cardinales et à l’Ethique, étant étroitement liées et indissociables les unes des autres, toutes trois sont constitutives des fondements inculqués aux Francs-Maçons. Parallèlement, si ‘’morale’’, il n’est alors point question de ‘’matérialité’’ et d’individualité néfastes au bienfait ou au mérite d’une Chaine fraternelle, dans une lutte permanente contre les rivalités entre Membres. L’Institution maçonnique est alors à l’initiative de cet objectif de réunir les adeptes d’une Sagesse, pour s’acheminer dans la voie initiatique, à partir d’une culture et d’un enseignement, non réservés à quelques-uns. Elle s’intéresse à un groupement d’individus, soit un collectif en recherche d’absolu, par une pratique culturelle et une mise à l’épreuve de leur esprit dans l’acquisition de nouveaux savoirs.

L’origine de l’expression ‘’réunir ce qui est épars’’ est incertaine, puisque qu’elle est qualifiée depuis fort longtemps de ‘’vieil adage’’ employé par les Francs-Maçons eux-mêmes. Certains auteurs maçonniques affirment que cette locution se réfère à la recherche des membres épars d’Osiris, alors que son épouse Isis se livre à la reconstitution du corps mutilé de son époux. Une autre hypothèse ferait allusion à la dispersion des douze Tribus d’Israël. La vocation du postulat ‘’réunir ce qui est épars’’ approche une démarche selon un principe spirituel et moralisateur, qui tiendrait lieu de ‘’ciment de réunification des êtres’’. Il est fort vraisemblable que cette conception a été créée sur un repositionnement des hommes dans l’espace, plutôt que dans le temps par l’action de quelques-uns, en s’appuyant sur la référence première de la Franc-Maçonnerie de Tradition. Cette dernière date de l’édification du Temple de Salomon (thème majeur de la Maîtrise depuis le Moyen-âge) au sein de la cité céleste de Jérusalem. La topographie mystique de cette cité en a fait le foyer du monothéisme de par sa position géographique au Moyen-Orient. Dès lors, Jérusalem se trouve prédestinée à une vocation d’épicentre, qui la relie aux portes de l’Occident. Entourée des collines de Judée, face à l’Afrique et aux grands déserts de l’Asie autant que ces abords méditerranéens, Jérusalem est ouverte aux grands vents de l’Occident. Jérusalem s’érige en un véritable carrefour de plusieurs continents, dont les peuples se nourrissent des racines de la sagesse de l’Orient pour les transporter jusqu’à la pointe de l’Occident, soit en Angleterre et en Ecosse dotée de sa cité mystique, Heredom.

C’est à Jérusalem que sont appelés à se rejoindre, se rencontrer, les peuples qui apprendront à se connaître dans l’amour des autres, l’acceptation des différences, le pardon et les valeurs humaines. Jérusalem constitue la charnière qui se dresse avec sa couronne de minarets, de dômes, de beffrois, et ses synagogues bourdonnantes de prières. D’après la tradition biblique, Jérusalem est le lieu d’exaltation, où se mêlent et se confondent les mœurs et les coutumes de l’Orient et de l’Occident pour dépasser toutes les frontières, et abattre les barrières qui divisent et séparent les peuples. Jérusalem fait partie des ‘’places fortes’’, faisant abstraction de tous les obstacles de Constantinople (capitale de l’empire romain d’Orient ou ancienne Byzance), à Antioche, à Babylone, à Alexandrie, et de tant d’autres contrées jusqu’à Rome et bien au-delà, si l’on observe les itinéraires de Grands Initiés. Jérusalem, la réconciliatrice, où peuvent se retrouver, d’une part Robert Amadou et Robert Ambelain, tenant de la tradition ésotérique occidentale, et d’autre part les Sages de l’antiquité dont Aristote, Pythagore, Platon, Hermès, …  sous influence de diverses mystiques orientales.  Mais, il ne faut pas oublier que la Franc-Maçonnerie compte parmi ses Sages Salomon, qui signifie ‘’homme paisible’’. Ainsi, le Temple de Salomon est celui de la PAIX, la Paix profonde, par sa construction en pierre, qui assure sa stabilité, en bois de cèdre qui lui donne la vitalité, l’or qui proclame la spiritualité, sans omettre l’airain qui résiste au déluge de la barbarie.  Faute de définir ou de désigner avec pertinence le socle spirituel, que se propose d’abriter le rassemblement des Initiés d’aujourd’hui auquel nous aspirons, voulant réunir ce qui est épars, une voie nous est ouverte. Il s’agit de celle des Rituels de la Franc-Maçonnerie de Tradition, qui nous renvoient nécessairement à ces deux lieux mythiques de Jérusalem à l’Orient et Heredom à l’Occident.

C’est dans le cosmos que forme la Loge, que nous rejoignons très sincèrement l’autre, pour autant qu’il soit animé d’un semblable désir de communication et d’échange. Quelles que soient les différences qui nous distinguent, sans diviser les hommes et les femmes par nos appartenances, nos références culturelles ou spirituelles, tout est permis pour qu’il y ait des liens véritables entre eux. Ces liens nous incitent à ne rien abandonner de nos conceptions personnelles, sans toutefois ne rien imposer à l’autre, restant soumis à la seule exigence du respect d’autrui, dans un effort spécifique qui n’est autre que la Tolérance. Tout cela est faisable et réalisable, puisque la Franc-Maçonnerie de Tradition use de SYMBOLES, et fait appel aux mythes et légendes, lesquels sont à accepter sans condition.  La Loge est construite sur la base d’une équipe d’hommes et de femmes qualifiés de cherchants, souffrants et persévérants dans l’étude d’abord, la recherche dans l’application ensuite, et enfin dans la persévérance et la pratique de l’Art royal.  L’essentiel est de rejoindre et de constituer un noyau d’Initiés appelés à se fondre dans un ensemble ordonné, cadencé, animé et rythmé par les Cérémonies rituelles, qui stimulent et suscitent l’égrégore de la Loge.

A noter que le Franc-Maçon n’est pas un humaniste, mais restera partisan de loyauté et de probité envers ses proches, qu’il est prêt à aider, à soutenir, à instruire. L’humanisme reste la mission des Institution qui ont une vocation humanitaire sans frontière portées par des ONG (Organisations non gouvernementales). La Franc-Maçonnerie n’est pas qualifiée à s’ériger en actes de soutien (industriel, médical, instructif, ….) en faveur des peuples défavorisés. Sa qualité reconnue restera exclusivement initiatique sans pour autant la borner à une période de commencement et de fin de son existence.  Cependant, ‘’Réunir ce qui est épars’’ reste une aspiration de nature humaine parfaitement compatible avec la Franc-Maçonnerie pour des hommes, qui souhaitent accéder à des valeurs universelles par la voie initiatique, selon certains contextes culturels et civilisationnels, à l’instar de celles propres aux religions.

Il y a donc lieu de rappeler les spiritualités et les cultes qui rassemblent au sein de leur communauté les adeptes d’une foi ou d’une religion. Sans sortir de notre sujet, nous relevons dans notre langage maçonnique l’acceptation du pluralisme des voies conduisant à la réunion de ce qui est épars, traduit par la Tolérance, qui est la manifestation de l’équilibre et de l’harmonie par laquelle on s’enrichit de toutes les différences que l’on sait analyser (cf. Jean-Pierre Bayard). La Tolérance s’inscrit dans une accointance qui ne saurait être réductrice des convictions ou des croyances d’autrui, mais au contraire respectueuse de celles-ci. Et nous voici au cœur même du sujet avec la réconciliation. Celle-ci est un préalable à toute démarche loyale, sincère, honnête, propre en esprit permettant l’unification de la Chaine fraternelle, faisant fi de la jalousie, la rancœur, la haine, le mensonge et tous les déchainements des instincts humains négatifs. Cette longue liste nous éloigne les uns des autres, pour des raisons de rivalités et tous effets dévastateurs en aucun cas fraternels.   A ‘’Réunir ce qui est épars’’, dans son Discours de 1737, le Chevalier de Ramsay donna sa propre interprétation à ce qu’il reçut comme un mot d’ordre et affirma avec emphase :

« Par là on réunira les lumières de toutes les Nations dans un seul ouvrage, qui sera comme un magasin général et une bibliothèque de ce qu’il y a de beau, de grand, de lumineux, de solide et d’utile dans toutes les sciences et dans tous les arts nobles. Cet ouvrage augmentera dans chaque siècle, selon l’augmentation des lumières… ».

Sur le thème de l’accès universel à la Connaissance par tous, le concept moderne d’encyclopédie était né en 1778 avec la Cyclopedia, alors qu’en 1751, l’éditeur Lebreton, Franc-Maçon et Maître de Loge publia le premier volume de la fameuse Encyclopédie de Diderot, illustrée de symboles maçonniques. Enfin en 1772, le dernier volume de l’œuvre supervisée par Diderot est publié. Ainsi, est rendu accessible le rassemblement, sinon exhaustif mais fondamental, de connaissance des sciences, tel un socle grâce auquel ces efforts de réunification ont permis la transmission d’un enseignement généralisé à l’exemple des premiers Grands Initiés (Krishna, Moïse, Platon, Jésus ou Mohammed, sans compter ceux des générations suivantes), et cela dans toutes les sciences ésotériques et philosophiques, qui nous intéressent au plan initiatique, hormis les sujets profanes.

Mais ce que les Francs-Maçons désignent tel un adage, ‘’réunir ce qui est épars’’, nous renvoie au Rituel du REP, et plus particulièrement à notre Instruction dialoguée du premier Grade :

Q – Qu’est-ce qu’un Franc-Maçon ?

R – C’est un homme né libre et de bonnes mœurs, également ami du riche et du pauvre, s’ils sont vertueux.

Q – Que veut dire ‘’né libre’’ ?

R – Est ‘’né libre’’ celui, qui après être mort aux préjugés du vulgaire, s’est vu renaître à la vie nouvelle que confère l’Initiation.

Q – Pourquoi dites-vous qu’un Maçon est également ami du riche et du pauvre, s’ils sont vertueux.

R – Pour indiquer que la valeur individuelle doit s’apprécier en raison des qualités morales. L’estime ne doit se mesurer que selon la constance et l’énergie que l’homme apporte à la réalisation du Bien.

         La recherche de ce principe non défini, et sans doute indéfinissable, est la marque de l’universalité de la Franc-Maçonnerie, universalité caractérisée par le langage et le vocabulaire qu’elle emploie, son fond symbolique et ses approches philosophiques appartenant à toutes les civilisations. Jean-Pierre Bayard exprime cette pensée ainsi :

« Cette communication existentielle ne vise même pas l’intellect, le savoir universitaire, mais bien les qualités de cœur, de spiritualité qui peuvent se déceler tant au niveau conscient qu’inconscient. Les symboles ont leur vie depuis l’origine humaine : chaque civilisation, chaque religion, chaque société puise dans ce fonds commun de l’humanité, y trouvant les mêmes valeurs éternelles. L’universalité unit toutes les traditions authentiques qui possèdent les mêmes symboles et des pensées communes comme on le voit dans tous les livres sacrés, mais également dans les mythes, légendes et contes qui peuvent avoir des caractères initiatiques et font notre émerveillement. »

Enfin, pour nous ‘’réunir ce qui est épars’’ signifie non seulement intégrer les arcanes spécifiques à chaque Grade et Degré avec nos textes fondateurs, mais réside dans la transmission à nos Frères et Sœurs de notre compréhension, afin de contribuer à la pérennité du Rite Ecossais Primitif. Les Initiés sont conduits à communiquer entre eux par les actes rituels, dans l’esprit par l’éveil des sens et des émotions, et dans l’intelligence par l’écoute. C’est un chemin d’ouverture vers les autres, de liberté, de respect, sans sectarisme, sans enfermement, permettant d’éprouver une spiritualité qui n’appartient ni au passé ni au futur, mais qui est enraciné dans le cœur du moment présent, à savoir le Rituel vécu durant le Travail dans le Temple.

En guise de conclusion à ce thème de ‘’réunir ce qui est épars’’, est reprise une citation, formulée dans un cri d’espoir par Frédérick Tristan écrivain et poète français, prix Goncourt 1983 et Grand prix de littérature de la Société des Gens de Lettres 2000, auquel j’adhère personnellement en totalité :  « Dans un moment où les différentes communautés du monde cherchent en aveugles des dénominateurs communs afin de converser librement et fraternellement entre elles, la pratique de la tradition maçonnique est l’une de celles qui peuvent permettre aux hommes de se retrouver dans un même langage spirituel et respectueux des différences et porteur de l’éthique indispensable.  Tel est, en tout cas, l’un des buts des Grandes Loges régulières de chaque pays, au milieu du foisonnement hétéroclite des intégrismes religieux et du paganisme renaissant. »

Travail mis en ligne en janvier 2023