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Eloge funèbre

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Travail .. Eloge funèbre
Thème

   Le dernier Passage

Auteur

  Un Maître-Maçon

   R:. L:. Sentinelles Steward de RDC n° 37  

A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers,

Il m’a été confié, ce jour, la triste mais agréable mission, pour moi qui suis croyant, de réfléchir, avec vous, sur la symbolique de la mort à l’heure où, réunis dans ce Temple, nous nous souvenons de notre Bien-Aimé Frère Christian Mukoko qui a rejoint l’Orient Eternel. Je dirais mieux, le Village de nos Ancêtres.

Ma réflexion s’appuie sur la signification symbolique d’un lieu qui nous est cher en Franc-Maçonnerie, à savoir la Chambre de réflexion (désignée en d’autres Rites que le REP sous l’appellation de Cabinet de réflexion). Cette Chambre dans laquelle nous étions placés préalablement à notre entrée dans l’Ordre, nous invite à l’introspection, à l’humilité et à la persévérance. Le Récipiendaire doit connaitre les Ténèbres avant de recevoir la Lumière, c'est un passage de l’obscurité vers la Lumière. Il devra mourir pour renaitre. Il sera certes tiraillé par son esprit et par ces avaries. Cependant, son passé est aussi son avenir et son présent. Il y aura un avant et un après. Seuls son travail et sa persévérance pourront être récompensés par la lumière à l'aube d'un être nouveau.  

Evoquer la mort, un terme qui est peu utilisé en Franc-Maçonnerie, m’amène à affirmer qu’elle est vieille comme la vie.  La mort a toujours représenté à nos yeux un moment douloureux. En tant que symbole, la mort est l’aspect périssable et destructible de l’existence. Elle indique la finalité des choses vivantes. Après le passage de Christian, ne restent dans l’esprit et le cœur des vivants que quelques photos et souvenirs ; une odeur, une voix, une réflexion, une attitude… En tant que symbole, la mort est rattachée à la Terre, elle est la clé de deux mondes inconnus, ceux de l’Enfer et du Paradis. Grâce et par cette ambivalence, elle devient un élément essentiel des rites de Passage. Toutes les initiations traversent une phase de mort, avant d’ouvrir l’accès à une vie nouvelle.

La mort devient de la sorte une force, elle est révélation et introduction, et par là même acquiert une valeur psychologique, elle délivre le profane, puis l’impétrant des forces négatives et libère à travers une cérémonie les forces ascensionnelles de l’esprit.  La mort est par ailleurs considérée comme étant la fille de la nuit et sœur du sommeil, elle possède comme sa mère et sa sœur le pouvoir de régénération. Sur l'interrogation de son devenir dans l'au-delà, il est bien possible que si l’être qu’elle frappe n'a vécu qu’en milieu matériel ou grossier, il risque fort de sombrer dans les Enfers et les Ténèbres, s’il a vécu au contraire au plan spirituel, lui seront ouverts des champs de lumière et d’espérance.  Pour le commun des mortels, cependant, la mort est traditionnellement ressentie comme un passage angoissant et effrayant car elle n’est pas pour beaucoup une certitude vers une vie nouvelle, comme le disait Saint Thomas.

Au sens ésotérique, la mort symbolise le changement profond que subit l’homme sous l’effet de l’Initiation. Le profane doit mourir pour renaitre à la vie supérieure.

Par ailleurs, l’idée selon laquelle la mort serait un châtiment n’est pas biblique.  Car, après la chute originelle, Adam n’est pas condamné à mort par Yahvé; il est au contraire condamné à vivre au prix de la sueur de son front ; Ève, pour sa part, n’est pas non plus condamnée à mourir, mais à vivre et à survivre au prix des douleurs de l’enfantement. La mort n’est donc pas, en fin de compte, le châtiment infligé par Dieu à Adam.  La vie est le bien par excellence, puisque c’est Dieu qui la créée. Dès lors, la vie est un don de Dieu, et Dieu seul peut en user et en disposer : il est seul maître de la vie et de la mort. C’est pourquoi il est interdit aux hommes d’ôter la vie à leurs semblables.  Mais, après la chute adamique, Dieu craint que les humains, ayant déjà commis le mal une fois, le commettent à nouveau en d’autres circonstances. Afin de prévenir une telle situation, il leur ôte la possibilité de vivre éternellement et leur assigne alors une limite à leur vie : il limite la vie par la mort. On remarque que la mort met un terme aux souffrances de l’homme. En aucun cas, la mort n’est vue comme un châtiment, mais plutôt comme le terme naturel de la vie. Saint Thomas d’Aquin souligne même que les qualités de Dieu sont l’unité, la vérité et la bonté. L’unité est symbolisée par l’arbre de Vie, qui n’a pas de contraire, n’est pas dualiste (ou imparfait) comme l’arbre de la Connaissance du Bien et du Mal. Dans cette optique, la mort non seulement n’est pas une punition, mais une délivrance, car elle ôte à l’homme sa dualité corps/esprit et redonne à l’esprit sa nature divine. Etant donné que l’univers est composé de ce qui est visible et invisible, de même la mort peut être perçue comme un chemin que l’on parcourt pour aller d’un lieu à un autre. C’est ce que soutenait le poète Goethe : '' L’image touchante de la mort ne s’offre pas à l’homme sage comme un objet d’effroi, ni à l’homme pieux comme un dernier terme. Elle ramène le premier à l’étude de la vie, et lui apprend à en profiter ; elle présente au second un avenir de bonheur, elle lui donne l’espérance au milieu de ses jours de tristesse. Pour l’un et pour l’autre, la mort devient la vie.’’  Cette certitude nous est confirmée par Socrate qui croit que l’âme humaine peut revivre et revenir habiter un lieu de délices qu’il nomme dans son Apologie les ‘’Îles des Bienheureux’’. C’est là qu’arrivent les âmes de la plupart des morts, et elles y demeurent le temps que la destinée leur a assigné pour être renvoyées vers de nouvelles naissances, sous la forme d’êtres vivants. Socrate parle ainsi d’une terre qui accueille, telle une récompense, les âmes des morts qui ont antérieurement vécu une vie dans le Bien.

J’en conclus donc que la mort, inscrite par Dieu comme une limite à la vie, permet plutôt à l’humain de revenir au jardin d’Éden, d’où il avait été chassé. La mort est un voyage vers un au-delà qui se présente comme un Paradis perdu, mais dans lequel l’homme juste et pieux garde l’espoir de vivre après la mort. La mort est le voyage vers un autre lieu dont le caractère agréable dépendrait essentiellement du mérite de chacun. En ce sens, la mort n’est pas le contraire de la vie, mais plutôt, comme le dit Goethe, ‘’elle devient la vie’’.

Si l’on peut croire que, miséricordieux, l’Éternel Dieu assigne une limite temporelle aux souffrances humaines en mettant un terme à la vie d’Adam, il faut aussi croire qu’après l’expiation, Adam a droit au bonheur éternel. La mort n’est pas la fin de toute vie, elle n’est pas la contrepartie de l’arbre de vie, car la Vie est le Bien, et il est bon que la Vie existe encore. En fait, la vie n’arrête jamais de vivre, seul le corps, qui porte la vie en lui, se détériore.  Tout au long de sa présence dans ce Temple, notre Bien-Aimé Frère Christian Mukoko a appris à cultiver les valeurs qui fondent l’âme à espérer un séjour dans le village de bonheur et de paix, en attendant de revenir pour une nouvelle expérience de vie sur cette terre. Il s’est attelé à travailler pour son épanouissement personnel, pour le bonheur de ses proches, de ses Frères et le bien de l’humanité. A l’heure où il dépose ses outils, il fait don de son travail à la postérité, aux membres de cette loge et au Rite Ecossais Primitif de la Grande Loge Française. 

A ce titre, nous affirmons ici que Christian a été unique et irremplaçable ; que son expression et son regard se perpétueront au fil de nos rencontres maçonniques ; que sa sensation sera toujours présente au travers de la Chaine fraternelle qui unit tous les Membres de cette Loge au sein de laquelle il restera toujours présent.  En conséquence, votre deuil est le nôtre, cette cérémonie n’est qu’une sépulture symbolique par des mots qui se veulent être la manifestation d’une profonde émotion. Notre Frère et Ami nous a quittés mais il ne nous quitte pas ; nous avons perdu notre Frère et Ami mais nous ne l’abandonnerons jamais.  D’ailleurs, les Africains que nous sommes, croyons toujours que les morts ne sont jamais partis, qu’ils ont changé de forme et de façon de vivre. Ils sont dans un monde très proche mais invisible, mais que l’on ressentira toujours.

Je conclus ma réflexion avec Leconte de Lisle, un poète français qui, dans ses Poèmes antiques disait :

‘’ Et toi, divine mort, où tout rentre et s’efface,

Accueille tes enfants dans ton ciel étoilé ;

Affranchis-nous du temps, du nombre et de l’espace,

Et rends-nous le repos que la vie a troublé ’’.

J’ai dit,

(Ce travail a pris date lors de la Tenue funèbre célébrée à l'Orient de Kinshasa le 8 mai 2021)