Morceaux de textes choisis |
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Thème | …..Fragment de Symbolisme | |
Titre |
Le parcours initiatique d’un goéland |
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Source | …..L’Edifice – Auteur maçonnique : NC |
Je voudrais vous parler aujourd’hui d’un sujet toujours d’actualité chez nous : l’initiation et le parcours initiatique.
Pour ce faire, je vais vous parler du livre qui a peut-être le plus compté pour moi dans ma vie, dont le titre est Jonathan Livingston le Goéland.
Je prendrai le parcours de ce goéland comme trame de travail et de réflexion, et en ferai un parallèle avec notre démarche maçonnique.
Cela peut paraître ambitieux, car je suis moi-même très loin d’avoir fini mon propre parcours, aussi je demanderai à ceux qui sont plus avancés que moi sur notre chemin de ne pas me tenir rigueur des erreurs que je pourrais faire. Cependant plus qu’une connaissance que je n’ai pas encore fini d’acquérir, c’est un état d’esprit que je voudrais vous faire partager.
Ce n’est donc pas par hasard que j’utiliserai les différentes symboliques contenues dans ce livre, puisque de mon point de vue ‘‘le symbole remplace de longues suites de raisonnements puisqu’il procède par analogie’’. C’est donc plus avec le cœur qu’avec la raison que je vous invite à parcourir ensemble ce récit.
Et puisque je viens de vous parler de hasard, je vous dirai que je ne crois pas beaucoup à ce dernier, mais beaucoup plus que ce qui nous arrive dans la vie est plutôt la conséquence consciente ou inconsciente de nos actes.
Je ne crois pas en effet que nous entamons notre démarche initiatique sans aucune raison. Même si nous n’avons pas encore connaissance de la démarche maçonnique, nous avons tous, autant que nous sommes, développé une appétence naturelle ou instinctive pour les valeurs qui sont nôtres, et compris intuitivement que ce que nous appelons ‘‘les métaux’’ n’était pas pour nous une fatalité.
C’est ainsi qu’un jeune goéland nommé Jonathan se retrouvait seul au bord du rivage en train de s’exercer au plaisir du vol. Sa grande passion était de savoir ce qui lui était possible de faire ou de ne pas faire dans les airs. Il cherchait instinctivement à se dépasser lui-même et transcender ses limites. Cette soif d’apprendre faisait qu’il voulait tout connaître sur le vol : le vol lent, le vol rapide, quelle était la vitesse maximale qu’il pouvait atteindre et s’il existait un moyen de la dépasser. Il se rendit bien vite compte que cette démarche, qu’il avait entreprise solitairement, se heurtait à l’incompréhension des autres goélands pour qui la seule chose importante dans la vie était de trouver à manger. Leurs arguments étaient de poids et ne manquaient pas d’un apparent bon sens. Comme lui disait son père : « Si étudier est pour toi un tel besoin, alors étudie tout ce qui concerne notre nourriture et les façons de se la procurer. Ces questions d’aérodynamique, c’est très beau mais nous ne nous nourrissons pas de vol plané. N’oublie jamais que la seule raison du vol c’est de trouver à manger ! ».
Plus il progressait dans sa connaissance du vol (démarche), plus il se heurtait à l’incompréhension des autres goélands, ceux-ci finirent d’ailleurs par l’exclure alors qu’il venait tout juste de trouver le moyen de dépasser la vitesse limite que la nature semblait lui avoir imposée. Ce qui émerge de cette première partie du livre, c’est que Jonathan se heurte à l’absence de sens donné aux actes de la vie. Dans un monde où le savoir ne vaut que pour l’utilité matérielle qu’il apporte, et où seule la survie compte, il se trouve forcément en rupture avec son entourage, qui ne partage pas son amour du vol. A mes yeux, cette étape de l’Initiation est difficilement contournable, à partir du moment où nous décidons de nous mettre en route, nous créons que nous le voulions ou non une rupture avec notre entourage. Rupture plus ou moins forte, moquée par certains, comprise par d’autres, elle (l’Initiation) reste essentiellement ‘‘personnelle et individuelle’’ puisqu’il s’agit de donner du sens à notre vie.
‘‘Seul sur sa falaise, Jonathan le Goéland comprit que l’ennui, la peur et la colère sont les raisons pour lesquelles la vie des goélands est si brève, et les ayant chassées de ses pensées, il vivait pleinement une existence prolongée et belle.’’ Traduit en termes maçonniques, nous pourrions dire qu’il nous faut ‘‘tuer le vieil homme qui est en nous, faire abstraction de nos anciennes valeurs, et donner un sens à notre démarche’’. En regardant le monde qui nous entoure, nous comprenons à notre tour que l’ignorance, le fanatisme et l’ambition déréglée font que dans nos société profanes l’existence y est parfois si pénible, alors que le Maçon mort à ses préjugés vulgaires peut rechercher une vie plus sereine.
C’est ainsi qu’après avoir appris à maîtriser ‘‘sa force’’ pour apprendre à voler, commence maintenant la deuxième partie du livre de Jonathan Livingston le Goéland.
Pour solitaire (personnelle) que soit cette démarche, elle n’est pas pour autant exceptionnelle, si bien qu’un jour Jonathan se trouve rejoint par deux autres goélands (je cite). « Purs comme la lumière des étoiles ». Ces derniers maîtrisaient parfaitement toutes les phases du vol que Jonathan avait découvertes par lui-même, aussi leur demanda-t-il : ‘‘Qui êtes-vous ?’’
« Nous sommes les tiens, Jonathan, nous sommes tes frères répondirent-ils avec assurance et calme, nous sommes venus te chercher pour te guider plus haut encore, pour te guider vers ta patrie. » Désormais, encadré par ce que nous pourrions appeler l’Expert et le Maître des Cérémonies, Jonathan les suivit pour ce qu’il croyait être le paradis. Ce que nous pourrions traduire dans notre propre démarche par notre entrée en loge, lieu de rencontre et de travail avec nos frères. Sa première impression fut un grand étonnement : ‘‘Pourquoi les goélands y étaient-ils en si petit nombre alors que le ciel eut dû en être plein ?’’.
Mais dans les jours qui suivirent, Jonathan comprit qu’il avait encore autant à apprendre sur le vol en ces lieux que dans ceux de l’existence précédente, avec toutefois une différence, les goélands d’ici partageaient sa façon de penser. Après avoir appris à maîtriser sa force pour apprendre à voler, il découvrira avec Chiang, l’ancien de la colonie, la beauté du vol. Avec ce dernier, il appréhendera trois nouvelles valeurs qui pourtant n’ont a priori pas grand-chose à voir avec le vol, mais qui mèneront son initiation vers une certaine sagesse : la volonté de perfection, la notion de liberté, l’amour.
La volonté de perfection
« As-tu idée Jonathan du nombre de vies qu’il nous a fallu pour que nous commencions à comprendre qu’il existe une chose qui se nomme perfection et cent autres encore pour admettre que notre seule raison de vivre est de dégager cette perfection et de la proclamer. »
De même que son maître Chiang lui dira : le paradis n’existe pas parce qu’il n’est ni un espace ni une durée dans le temps. Le paradis c’est simplement d’être soi-même parfait.
« Tout nombre nous limite, et la perfection n’a pas de bornes ». Cette notion de perfection est à mes yeux essentielle dans notre démarche initiatique. Certes comme tout idéal, elle restera toujours hors de notre portée, d’ailleurs comme le dit un proverbe anglais : l’excellence je puis la rechercher, mais la perfection c’est le travail de Dieu.
Cependant ce qui est important à mes yeux est le concept qui est derrière cette notion de perfection. En effet, la recherche de celle-ci nous oblige à deux choses :
- la première, à la maîtrise de nos capacités et de nous-mêmes. Or c’est bien là le sens de notre démarche initiatique, maîtriser ou plutôt réguler nos passions mais aussi notre vie, lui donner un sens afin d’être les acteurs de tout ce qui fait la dignité et la richesse de l’homme ;
- la seconde, à la nécessité du travail. Car il faut sans cesse polir sa pierre, le travail suscite la réflexion, et de cette dernière nait le progrès. La maçonnerie nous permet en effet de progresser grâce à la démarche initiatique qu’elle nous propose, mais ce n’est pas un coup de baguette magique que nous recevrons lors de notre initiation, il nous faut en effet travailler, travailler nos planches, travailler nos symboles, comprendre les valeurs de notre rituel, et s’aidant de tout cela, travailler à notre propre perfectionnement.
Comme le dit Chiang, ‘‘C’est étrange, les goélands qui par amour du voyage méprisent la perfection ne vont lentement nulle part. Ceux qui par amour de la perfection oublient les voyages peuvent instantanément aller n’importe où.’’
La notion de liberté
Cette dernière lui sera enseignée au travers d’une notion qui nous est chère en maçonnerie, à savoir la capacité à se transcender ; en effet pour dépasser la notion de vitesse, il lui fallait pouvoir se rendre instantanément d’un lieu à un autre, pour cela : « la bonne méthode, selon Chiang, consistait à cesser de se considérer lui-même comme pris au piège d’un corps limité par trois dimensions, ayant une envergure d’un mètre… Le secret du truc ne pouvait résider que dans la conviction absolue que son être, aussi parfait qu’un nombre imaginé et pas encore transcrit en chiffres, était partout présent dans la durée et dans l’espace. »
Et un beau jour, Jonathan en fermant les yeux et en se concentrant eut la révélation de ce que voulait dire son maître : mais oui, c’est vrai je suis un goéland parfait et sans limite. Dès lors Jonathan était prêt, il avait compris une chose, il n’était pas seulement plumes et os, mais aussi liberté et espace que rien ne pouvait limiter. Chacun de nous est une idée du Grand Goéland, une image illimitée de la liberté.
Ce que Jonathan a réalisé, nous devons aussi essayer de le faire dans notre démarche maçonnique, nous ne sommes pas non plus que des hommes constitués de muscles et os, mais aussi des initiés, devant être capables de nous affranchir des préjugés vulgaires, de rechercher la vérité derrière les apparences et devenir à notre tour des porteurs de lumière.
Selon nos conceptions propres, il y aura peut-être une part de divin en nous, ou simplement une transcendance de notre humanité, nous devons donc être des Maçons libres, c’est-à-dire affranchis du bandeau qui nous recouvrait les yeux et regarder vers la lumière.
L’amour
Vint un jour où son maître Chiang disparut. Avant de le quitter, il lui avait dit « Jonathan, et ce furent là ses dernières paroles, continue à étudier l’amour. »
Et c’est ainsi que commence la troisième partie du livre de Jonathan Livingston le Goéland. Après avoir appris à maîtriser sa force pour apprendre à voler, découvert avec Chiang l’ancien de la colonie la beauté du vol, il travaillera maintenant à transmettre l’amour dans les cœurs. Plus Jonathan apprenait la bonté, plus il s’appliquait à comprendre la nature de l’amour, plus profond était son besoin de retourner sur terre. Il ne pouvait s’empêcher de songer qu’il y avait peut-être là-bas un ou deux goélands capables eux aussi d’apprendre.
C’est ainsi qu’en retournant sur les lieux qui l’avaient vu naître, il fit la connaissance de Fletcher. ‘‘Fletcher le Goéland était très jeune encore, et convaincu qu’aucun oiseau n’avait jamais été traité aussi durement que lui ou avec autant d’injustice.’’ Jonathan le rejoint et lui dit : « Ne les juge pas trop sévèrement, Fletcher le Goéland. En te rejetant, les autres goélands n’ont fait de tort qu’à eux-mêmes et un jour ils le comprendront, et un jour ils verront ce que tu vois. Pardonne-leur et aide-les à y parvenir. » Au bout de trois mois, Jonathan avait six autres élèves, tous passionnés par le vol, pourtant il leur était plus aisé de réussir des performances que de comprendre la raison profonde pour laquelle ils les réalisaient. Et nous revenons ainsi au problème de l’initiation qui est celui de l’apprenti, pour qui il est plus facile de se mettre en marche que de comprendre ce vers quoi l’amène sa démarche. En effet, initiation et connaissance sont intimement mêlées, c’est parce qu’il est initié qu’il accède à la connaissance. Mais pour Jonathan c’est parce qu’il transforme la connaissance en amour qu’il peut à son tour initier les autres goélands. Il en est de même pour tous les maîtres maçons, la maîtrise n’est pas une fin en soi et le chemin est encore long, mais il est du devoir de chaque maître que de transmettre à son tour la connaissance. Nous ne sommes que les maillons d’une chaîne et celle-ci se doit de durer dans le temps.
Et lorsque Fletcher lui demande comment il fait pour aimer ceux qui l’ont exclu dans le passé, Jonathan répond : « On n’aime ni la haine ni le mal, c’est évident. Il faut t’efforcer de voir le Goéland Véritable, celui qui est bon, en chacun de tes semblables et les aider à le découvrir en eux-mêmes. C’est là ce que j’entends par amour. » Mais c’est aussi en initiant à son tour que Jonathan découvre et comprend les vérités que son maître Chiang lui avait enseignées sans qu’il en fut alors réellement conscient. Toutes ces idées folles qu’il ne parvenait pas à saisir alors, mais qu’il pouvait désormais comprendre parce qu’il s’était appliqué à faire les choses par amour.
C’est ainsi qu’un matin Fletcher lui dit : « On prétend dans le clan que si vous n’êtes pas le fils du Grand Goéland en personne, alors vous êtes mille années en avance sur votre temps ! ».
Jonathan soupira : C’est cela le prix du malentendu, pensa-t-il. Il fait de vous un démon ou il vous proclame Dieu.
« Qu’en penses-tu Fletcher, sommes-nous en avance sur notre temps ?
Non, cette façon de voler a toujours été là, à la portée de tous, prête à être apprise par quiconque voulait la découvrir. Cela n’a rien à voir avec notre temps. Tout au plus sommes-nous peut-être en avance sur une mode, en avance sur une façon de voler de la plupart des goélands. »
C’est sur ce message que je voudrais terminer cette planche. En effet, que l’on soit Maçon ou Goéland, nous ne sommes pas en avance sur notre temps, tout au plus en avance d’une mode, notre démarche existe depuis toujours, elle est parfaitement à notre portée. Il nous appartient donc de nous mettre en route en oubliant toutes les mauvaises raisons qui pourraient retarder ce départ.
Je laisserai cependant le mot de la fin à Chiang qui répétait sans cesse à Jonathan : « Oublie la foi ! Tu n’avais nul besoin d’avoir la foi pour voler, tout ce qu’il te fallait c’était comprendre le vol ». Et lorsqu’il eut enfin réussi, Jonathan s’exclama : ça marche. Et Chiang lui répondit : « Bien sûr que ça marche ; ça marche toujours lorsque l’on sait ce que l’on fait ». Mais c’est aussi en initiant à son tour que Jonathan découvrit et comprit les vérités que son Maître Chiang lui avait enseignées sans qu’il en fut alors réellement conscient. Toutes ces idées folles qu’il ne parvenait pas alors à saisir, mais qu’il pouvait désormais comprendre parce qu’il s’était appliqué à faire les choses avec amour.
J’ai dit Vénérable Maître,
B:. F:.
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Renvoi du Comité de rédaction
à la présentation de l’ouvrage selon la quatrième page de couverture de l’ouvrage « Jonathan Livingston le Goéland », éditions Flammarion, reprise ci-après : Un goéland des plus ordinaires veut apprendre à voler mieux et plus vite que ses pairs. Ses parents l’incitent à se comporter comme tout bon goéland qui vole pour se nourrir. Mais ce besoin est irrésistible chez Jonathan Livingston le Goéland. Il parvient, après de longs et douloureux efforts, à dépasser les limites qui bornaient jusqu’à présent le comportement de ses congénères. On le chasse alors du clan, on le condamne à une vie d’exclu solitaire. Pourtant, Jonathan Livingston le Goéland finira par gagner et par prouver qu’un goéland est l’image de la liberté sans limite. L’histoire de ce goéland est le plus étrange phénomène connu dans le monde de l’édition. Ecrit par un ancien pilote de l’U.S. Air Force, Richard Bach, arrière-petit-fils du compositeur, ce texte (après huit mois de démarches infructueuses) fut cédé à un éditeur américain qui le publia à peu d’exemplaires. Puis, d’abord lentement et sans publicité, les ventes et les tirages allèrent en s’accélérant… pour atteindre des chiffres fabuleux. ‘‘Ce petit livre si mince que Winnie l’Ourson pourrait le fourrer dans sa poche, et si chaste qu’une jeune vierge pourrait en donner lecture à l’ouvroir de la paroisse’’ (dit Time) est devenu le prodige de l’édition populaire et bat tous les records de vente depuis ‘‘Autant en emporte le vent’’.
Parallèlement, nous précisons que c’est en mémoire d’un Frère parti à l’Orient éternel en mars 2013, que nous avons voulu insérer cette merveilleuse planche dans notre volet »Morceaux de textes choisis ». En souvenir de ce Frère disparu qui aimait considérablement l’image de Jonathan Livingston au travers de cet écrit, dont il conseillait la lecture à ses Apprentis, nous faisons de même auprès des nouveaux Initiés.
(Texte déposé sur le site en janvier 2014)