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le Temps mystique et glorifié

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Travail      De l’intemporel au temporel
Thème

     Le Temps mystique et glorifié

Auteur       Elisabeth Mutel

A la Gloire du Grand Architecte de l’Univers,

Dans  le plus grand nombre de Travaux, l’usage d’un mot est récurrent, celui du temps, si bien qu’une étude s’imposait.

……..Depuis des millénaires, les hommes ont traversé deux espaces, celui du temps et des lieux qu’ils ont occupés jusqu’à leur disparition, ayant pris soin de transmettre leurs acquis aux générations suivantes. Dans leur avancée, eux comme leur descendance, tous ont naturellement évolué. Très sommairement, les hommes, acteurs et entrepreneurs, présents depuis les temps les plus reculés sont à l’origine des âges : l’Age de la pierre, l’Age de bronze, l’Age de fer, et cela bien avant l’Antiquité et le Moyen-âge. A suivi la Préhistoire définie comme la période comprise entre l’apparition du genre humain et celle de l’écriture. Dans une ascension séculaire garante d’une évolution toujours constante et croissante, les hommes ont reçu des qualificatifs, dont les premiers sont dits Homo sapiens, jusqu’à l’homme des temps modernes des divers territoires de la Terre, afin de permettre de les ‘’situer’’ dans la grande Histoire des peuples et des civilisations de tous les continents.

Nous disons aujourd’hui ‘’laissons le temps (au temps de) faire son œuvre’’, car en fait tout est ancré dans le cours inexorable du temps.  Le temps est généralement entendu en tant que repère chronologique pour définir une période, situer une époque plus ou moins longue (notamment un siècle avant et après Jésus-Christ) dans l’Histoire universelle, comme en tant que durée avec pour référence l’âge de l’homme, durée appliquée à une période individuelle propre à chacun. Dans ce cheminement, l’Apprenti a trois ans, le Compagnon cinq ans et le Maître-Maçon sept ans passés ; car sept années sont la durée ou le temps nécessaire à la construction du Temple de Salomon.

……..Le temps est un exil, lequel nous offre alors la faculté d’être captifs à ce qui nous entoure à un instant donné. Surpris que nous sommes dans un moment d’égarement, mais éveillés dans un sursaut, tel une flamme vacillante et vitalisée par le souffle initiatique. Le temps est suspendu entre la vie profane, avec ses satisfactions et également son défilé d’obligations ordinaires, et le temps inaugural de l’Initiation. La voie initiatique nous conduit à démontrer que la vie physique est limitée dans le temps, alors que l’esprit est source énergisante pour continuer son voyage. Une force active en mouvement ne peut être freinée que dans la rencontre d’un obstacle. Or, l’esprit qui se place au-dessus de la matière brave toutes les contraintes. C’est ainsi que l’homme pourvu de raison et grâce à celle-ci devient perfectible. Si l’homme est un corps fait de matière, il possède un esprit sans lequel le corps ne pourrait se mouvoir et réciproquement. Nos cinq sens sont perçus par le corps, mais analysés par l’esprit qui les comprend, les interprète et nous donne ces sensations de bien-être ou mal-être, bon ou mauvais, beau ou vilain. Le corps véhicule donc l’esprit, et l’esprit conduit le corps avec le temps de la réflexion.

Ainsi qu’il y a sur Terre, parmi les zones désertiques, les déserts de sable, il y a aussi le désert du sablier du temps qui passe, le temps de la patience, de la compréhension, instant après instant, nécessaire à la découverte du miracle de la Lumière surgie, lors de notre Initiation, pour fonder une alliance avec nous-mêmes, les autres et avec Dieu.  La nostalgie du paradis primordial se rencontre chez tous les Mystiques des sociétés primitives. Pendant leur extase, ils réintègrent la condition paradisiaque de l’Ancêtre mythique, avant la chute. Il y a régression temporaire dans le temps mystique, le but ultime étant le retour stable à l’état originel.   Partant du postulat de la doctrine ésotérique (R+C), il y a eu une chute et cette chute a eu pour conséquences d’atrophier certaines facultés chez l’Homme, selon le principe fondamental de l’Alchimie. En raison de la nature de l’homme, cette chute serait une catastrophe cosmique entraînant l’univers vers un état de déchéance. On peut recevoir une Initiation, une information, un entraînement qui réveillent nos fonctions atrophiées, mais le salut sera re-naissance. Le grand œuvre est ainsi conçu d’une façon globale : tous les hommes sont invités à devenir des Membres actifs et non plus passifs du Temple d’En-bas que constitue l’humanité.

…….Nous Initiés, quand nous sommes dans l’obscurité, plongés dans la tristesse et le désespoir, nous voulons à l’image de la Lumière jaillissante du chaos et fécondant la nature, resurgir au-dessus de la confusion et du désordre. Toutes choses malignes en nous étant détruites par le Feu et purifiées par l’Eau, c’est à la Lumière de la Sagesse que notre œuvre (notre action) est soulevée par l’esprit ; c’est d’ailleurs bien le sens alchimique du monogramme I.N.R.I. : Igne Natura Renovateur Integra. La nature est entièrement renouvelée par le feu, parce que l’évolution progressive se fait dans un renouvellement permanent. La formule INRI devenue vivante, c’est le Phénix, le feu originel, l’amour, l’agent transformateur éternel qui opère par intégration et désintégration successives pour faire progresser les hommes dans les échelons de l’évolution universelle. Cette introduction par référence à l’Alchimie nous place dans le temps sacralisé qui est la clé de voûte de notre Temple, la clé de la porte, que nous cherchons à franchir à nouveau, dans le sens du retour de l’homme nouveau.

……..Ce qui est sacralisé génère une séparation binaire (l’opposé étant le profane) spirituelle et/ou morale entre différents éléments qui composent ou représentent un groupe, une société (objets, actes, idées, valeurs…). Dans la plupart des religions, le Sacré désigne tout ce qui a trait au divin et à ses manifestations sur Terre. Pour le Maçon, il est question ici d’un temps différent, non ordinaire et plus précisément d’un moment glorifié ou sublimé, un instant voire un créneau temporel placé dans un parcours initiatique. C’est pourquoi, il convient d’éviter l’emploi à tort du terme ‘’sacré’’ en maintes occasions (temps sacré, Temple sacré, espace sacré,…), d’autant que la Franc-Maçonnerie (a fortiori celle adogmatique) ne délivre aucun sacrement, et que son Temple n’est pas un lieu sacré contrairement aux édifices cultuels. Il en est de même des deux termes transcendance et immanence qui sont à l’opposé du symbolisme. Ainsi, il convient de privilégier d’autres qualificatifs, tels que ‘’sublimé’’, ‘’glorifié’’, ‘’incarné’’, ‘’dédié’’, à défaut ‘’sacralisé’’, ce qui évite de galvauder les vocables, alors déviés de tout sens de la parole en général et de la symbolique initiatique en particulier.

Ceci nous conduit à démontrer que la vie physique a ses limites avec le temps, alors que l’esprit qui est pure énergie continuera son voyage. Car rien ne peut empêcher une force en mouvement de s’arrêter, y compris face à un obstacle à enrayer. Ainsi l’âme, qui se trouve au-dessus de la matière, se place au-dessus de tout obstacle. Il convient de se reporter à la symbolique du Compas et de l’Equerre. Au Grade d’Apprenti, l’Equerre (la matière) domine le Compas (l’esprit) ; au Grade de Compagnon, les deux Outils sont entrecroisés pour signifier que la matière et l’esprit s’équilibrent, et au Grade de Maître-Maçon l’esprit domine la matière par les branches du Compas sur l’Equerre.

……..Le rythme cosmique, que traverse la lumière solaire qui naît, vit et meurt pour mieux se renouveler …vie, passion, mort, renaissance …,  présente l’importance des cycles cadencés de la vie humaine, et pour le Maçon cycles et rythmes sont à rapprocher du Soleil, qui commence la carrière du jour à l’Orient, et se prolonge dans l’animation du Carré long par les Luminaires des trois Colonnettes et des Plateaux. Mais la Lumière ne surgit qu’après la disparition de l’ombre croissante jusqu’aux Ténèbres. Le lien à la lumière nécessite pour apparaître la manifestation de l’esprit-lumière, parce que le temps par ce biais se trouve étroitement lié à la Lumière, laquelle est évoquée dans le prologue de l’évangile de saint Jean, et rappelée par la Bible le Compas et l’Equerre, les trois Grandes Lumières de la Franc-Maçonnerie. En Loge de saint Jean, notre but est bien de nous préparer à recevoir la Lumière, l’assimiler et finalement la refléter à notre tour à l’intérieur comme à l’extérieur de nous-mêmes.  A cette fin nous avons d’abord laissé nos métaux à l’entrée du Temple, puis l’application stricte du Rituel nous a permis de progressivement quitter le monde profane, nos soucis, nos préoccupations et l’abrutissement lié à la multitude des tâches qui y règnent, pour rejoindre un autre monde, un autre référentiel, un lieu, un temps, bref un espace-temps différent, décalé, pendant lequel nous allons travailler symboliquement de Midi à Minuit. Mais ce Temps sublimé, est-il le seul Temps maçonnique ?

……..Nous savons que le temps est lié à la matière et au mouvement, au changement pour tout homme et pour nous Initiés au renouveau. Apparait alors nécessaire la manifestation de la Lumière renouvelée par les deux solstices d’Hiver et d’Eté. Ils concrétisent des repères temporels au cours de l’année maçonnique, la lumière commence à décroître 3 jours après le 24 juin et elle commence à se ressaisir le 22 décembre, 3 jours avant la naissance du Christ-lumière.  Le monde profane, que nous avons quitté momentanément le temps des Travaux en Loge, dans lequel nous sommes résidents reste le domaine de la nature dans lequel subsiste le temple de l’homme, au sujet duquel le Christ a dit détruisez-le et je le rebâtirais en trois jours ; il est aussi régi par la notion de temps. Les trois jours de la restauration du Temple, pour le rebâtir sont des jours métaphoriques, ou philosophiques, à entendre comme des années, ce sont les trois signes inférieurs du zodiaque, situés en bas, dans les enfers, que tous les dieux mourant doivent visiter avant de renaître. Si les paroles attribuées au Christ sont ici reprises, c’est parce que cette Lumière que nous cherchons définit de façon cyclique le temps-durée dans notre monde incarné et que les religions ont voulu exprimer sous un voile léger allégorique.

Ce drame cosmique est celui de la lumière qui naît, vit et meurt pour mieux renaître et que l’Eglise a incarnée en un homme nommé Jésus dit le Christ. La naissance, la vie, la passion, la mort puis la résurrection s’inscrivent bien dans ce « drame » inévitable que traverse la lumière solaire qui disparait avec l’apparition des Ténèbres.  C’est pourquoi les textes insistent tant sur l’identité du Christ-Lumière (apporter la Lumière aux hommes, Lumière du monde…) ; ceci est tellement vrai que la figuration du Christ sur une croix fut tardive. Elle était auparavant représentée au centre d’une mandorle pour désigner une icône en gloire ou en majesté (figure en forme d’amende ou d’ovale), laquelle adopte sa signification parce qu’en Hébreu le mot luz désigne à la fois la lumière et une amande (Saint Jean de Luz, Lys, Mélusine, le Lys est la lumière en héraldique). Voyons quelques détails de ce parcours de la Lumière rythmant la vie incarnée et dont elle est la condition indispensable :

  • le 21 juin, c’est le solstice d’Eté, le jour le plus long de l’année où le Soleil est au zénith ;
  • 23 septembre Equinoxe d’automne, la lumière semble vaincue, la longueur de la nuit égale celle du jour, à partir de ce jour les ténèbres ne cesseront de croître au détriment de la Lumière, la Vie décline.  Le Christ-Lumière semble vaincu et cela durera trois jours symboliques, trois mois du zodiaque, balance scorpion, sagittaire, c’est la descente solaire dans les signes du bas, les enfers, on y a d’ailleurs placé la fête des Morts, des trépassés ;
  • à la fin du sagittaire la lumière se meurt, mais le 22 décembre (selon les années bissextiles, le 21 ou le 22) la chute cesse, c’est le solstice d’Hiver, trois jours plus tard c’est la fête de Noël. Le Christ-lumière renaît ce jour-là, à Minuit.

Durant les trois mois suivants dans l’hémisphère nord de la Terre – capricorne verseau et poissons– nous assistons à la remontée de la lumière, c’est ainsi qu’au milieu de ces trois signes se place la fête de la lumière renaissante, la fête des chandelles ou de la chandeleur. A cette date la lumière n’a pas encore gagné, la durée du jour n’atteindra celle de la nuit qu’a l’équinoxe de printemps. Lorsque enfin le soleil jaillit de l’ombre, c’est la résurrection de la Lumière, le temps de Pâques. De là vient d’ailleurs le symbolisme des œufs de Pâques, la lumière va éclore et mystiquement il s’agit de la Lumière divine en nous.

……..Le temps que dure un cycle annuel est totalement rythmé par cette Lumière. Après l’équinoxe de Printemps au cours des signes –bélier taureau et gémeaux–, la Lumière triomphante monte vers le solstice d’été pour arriver à un jour bien connu des Initiés puisque nous prenons un soin tout particulier à fêter, à chaque solstice, les deux saint Jean. Une parole très parlante de saint Jean le Baptiste est la suivante (Jean III-30) « il faut qu’il croisse et que je diminue ». Le Baptiste disparaît à sa décapitation et alors seulement l’empreinte du Christ, de la Lumière du monde va pouvoir grandir.  Enfin, le solstice d’été se produit trois jours avant la saint Jean-Baptiste, le 24 Juin au moment où le soleil décroît.  Le Christ-lumière du monde et saint Jean l’évangéliste sont fêtés les 25 et 27 décembre, au solstice d’hiver, au moment où la lumière renaît.

Tout au long de la durée d’une année, nous suivons le chemin parcouru par cette lumière que nous cherchons, sa vie, sa mort, sa résurrection, nous guide et nous accompagne dans notre prise de conscience de la mesure du temps.  Son action dans le monde incarné est bien régie par Chronos, par la personnification du temps selon les Traditions orphiques, car le parcours du temps est borné, récurrent, et irréversible bien que cyclique.

…….A l’ouverture des Travaux, nous avons laissé nos Métaux à la porte du Temple et appliqué  un rituel destiné à progressivement nous aider à quitter le monde profane, pour rejoindre un autre espace temps, décalé et différent pendant lequel nous allons travailler de Midi à Minuit. Notre but ultime dans une Loge de saint Jean est de nous préparer à recevoir la Lumière, l’assimiler pour finalement la refléter à notre tour à l’intérieur du Temple maçonnique comme à l’extérieur.  Mais pourquoi ce cérémonial ? Quelle lumière ?  La nécessité d’une rupture avec le profane étant entendue, est-ce la seule raison qui dicte ce comportement, cette recherche ?  Les Rituels ne sont pas le fait du hasard ou de la superstition. Ils ont vocation à transmettre un message au travers de la Lumière que nous cherchons. Le Rite préserve la mémoire du passé pour mieux nous conduire vers le devenir. Nous pouvons déceler dans le temps sublimé, nécessaire à toute progression, un état favorable à la réception d’une certaine lumière bien réelle et physique, de nature vibratoire et intermittente.  Cette Lumière apparaît de façon irrégulière dans la flèche du temps, sans doute pas de façon erratique mais plutôt de façon cyclique, la Bible faisant référence à la Lumière, présente dans le Temple autour du Carré long, et dans la Bible, notamment au Prologue de saint Jean qui ouvre nos Travaux.

Cette Lumière, confirmée de façon physique dans le Temple et au travers de notre Rituelie, est une irradiation, cyclique entre Ténèbres (Lune), Soleil et Voûte étoilée pour se manifester et susciter les réactions de l’esprit. Son rayonnement peut provoquer chez celui qui le reçoit une illumination, déclencher une sorte de mutation instantanée qui lui apportera la compréhension totale, la révélation de sa vraie nature et de la conduite à tenir pour enfin bénéficier des bienfaits de la Lumière.  Les alchimistes parlent de la Pierre philosophale (qui incarnait au Moyen-âge une des désignations du Christ) et le préalable à sa réalisation par le cheminement initiatique.

…….Le Rituel nous aide à nous mettre dans les dispositions propices à cette illumination. Celle-ci nous renvoie à la notion de Shekina, mot hébreu signifiant demeure qui dans la Bible désigne la présence de Dieu parmi son peuple ou l’immanence divine dans le monde. Ainsi, elle apparaît et disparaît de façon cyclique dans l’histoire des hébreux aux moments les plus importants, mais elle se rapporte aussi à l’Etoile de Noël qui préside à la venue du Christ (Lumière du monde). Le Christ lui-même dit « je suis l’étoile radieuse du matin …. »   Cette lumière-radiation transmutante qui précède le lever du Soleil pourrait donc être celle de Vénus, Phosphoros ou Lucifer selon les cultures, c’est-à-dire lumière du matin. Elle apparaît à l’Est et quotidiennement de façon bien trop régulière pour être celle dont parlent les textes, et son rayonnement bien que très visible est faible. Il lui faut probablement une aide pour agir, une conjonction avec un autre luminaire résoudrait l’équation, l’irrégularité du cycle s’expliquant par le cycle des conjonctions entre Vénus et les autres luminaires.

Alors oui, le temps sacralisé est percutant dans la vie de l’homme et pour l’Initié tout autant.   Dans sa conception, il accompagne notre Rituelie par la restitution de la Lumière, qui nous rend réceptifs à cette radiation bénéfique divine, et mutagène apparaissant certains matins à la conjonction de la lumière vénusienne avec celle d’une autre étoile venant compléter son action (Saturne ou Uranus…), et nous ouvre en grand la porte du retour à notre vraie demeure.

Travail déposé sur le site en février 2024