Accueil » Les chroniques écossoises » Les catéchismes maçonniques et le mot du Maçon

Les catéchismes maçonniques et le mot du Maçon

      Les chroniques écossoises du REP      

introchroni
 Titre Les catéchismes maçonniques

et le Mot du Maçon

 Source 

Hugues Berton et Christell Imbert

Ouvrage : Les Enfants de Salomon

 Approches historiques et rituelles – Editions Dervy, juillet 2015

Rituels et catéchismes écossais

Le décryptage de quelques catéchismes et rituels montre que, s’ils contiennent dès le départ une dimension morale, philanthropique et philosophique, ils intègrent également une dimension spiritualiste fortement marquée par les traditions juives, chrétiennes et hermétistes qui les sous-tendent.  Leur structure repose sur un exposé mythique et symbolique lié à l’architecture, à l’ordonnancement de la loge et des objets qui s’y trouvent, débouchant sur une réception basée sur la prestation de serment, l’attribution de mots et signes de reconnaissance, en vue de permettre au maçon d’édifier, à l’instar du Temple de Salomon, son propre temple intérieur. Les premiers catéchismes maçonniques parvenus jusqu’à nous sont d’origine écossaise.

Entre la rédaction des Statuts Schaw et le premier catéchisme, il s’écoule un siècle.  Serait-ce à dire que l’Art de la mémoire mentionné par William Schaw était tombé en désuétude, et remplacé par l’écrit ?  A moins que celui-ci n’ait été un aide-mémoire, permettant de localiser dans une loge devenue elle-même temple de Mémoire, le positionnement des différents outils et objets symboliques, ainsi que de la manière de s’en servir. 

Mais quelle est l’origine de son introduction en Ecosse ?

Des catéchismes religieux …..

       La Réforme protestante développe la nécessité d’un enseignement destiné à tous et en facilite l’apprentissage par l’élaboration de catéchismes, reprenant les principes de la foi chrétienne. Il s’agit dans l’esprit des Réformateurs de remettre en vigueur les anciennes catéchèses pratiquées dans les premiers siècles du christianisme, en vue d’instruire les nouveaux convertis avant leur baptême.

[…]

…… aux catéchismes maçonniques

Précisons tout d’abord le contexte historique dans lequel les catéchismes maçonniques voient le jour.   Jacques Stuart, roi d’Angleterre et d’Irlande, sous le nom de Jacques II et roi d’Ecosse sous le nom de Jacques VII, dernier monarque catholique, a été déposé en 1689.  Il s’est réfugié avec ses partisans jacobites à Saint-Germain-en-Laye. Sa fille, Marie et son gendre, Guillaume d’Orange, règnent sur l’Angleterre, l’Ecosse et l’Irlande. L’Acte d’Union entre les deux royaumes d’Ecosse et d’Angleterre, donnant naissance au royaume de Grande-Bretagne, prend effet en 1707.

A la suite de la Révolution Glorieuse (1688-1689), l’Eglise presbytérienne d’Ecosse (Kirk) a réussi à imposer sa forme du gouvernement ecclésial au détriment des épiscopaliens (anglicans), qui sont chargés des congrégations de l’Eglise d’Ecosse et devront constituer leur propre Eglise ; les presbytériens gardent le monopole de l’exercice du contrôle de la morale et de la culture dans cette nation.  Les catéchismes religieux prennent tout naturellement la place de la mémorisation par les images, telle qu’elle avait été pratiquée pendant toute la période médiévale.  Dans cette mouvance, apparaissent les manuscrits des premiers catéchismes maçonniques écossais.

Huit catéchismes écossais nous sont parvenus, dont la datation s’échelonne entre 1696 et 1714. Il s’agit des manuscrits :

  • Edinburgh Register House (1696)
  • Chetwode Crawley (vers 1700)
  • Sloane n° 3329 (1640-1700) contenant des éléments probablement d’origine anglaise
  • Haugfoot (1702),
  • Airlie (1705),
  • Dumfries n° 4 (1710),
  • Trinity College (1711), probablement d’origine irlandaise,
  • Kevan (vers 1714)

A partir de 1726, soit dix-neuf ans après la signature de l’Acte d’Union et neuf ans après la création de la Grande Loge de Londres, les loges se multiplient en Angleterre, de même que les catéchismes. On les retrouve dans quelques manuscrits,  tels que les  Ms. Graham (1726), Ms. Wilkinson (vers 1727), Ms. Chesham (vers 1740), mais surtout dans les nombreuses divulgations publiées à partir de 1723.

Examinons maintenant le contenu de ces premiers textes, qui nous renseignent sur la manière dont étaient reçus apprentis, compagnons et éventuellement maîtres maçons, tout en gardant à l’esprit que la communication du Mot de Maçon est l’élément essentiel de la cérémonie de réception dans premiers rituels écossais.  Nous prenons pour base le Ms. Edinburgh Register House, les manuscrits Chetwode Crawley, Arlie et Kewan qui présentent de grandes similitudes, et ajouteront les détails complémentaires donnés par les autres manuscrits.

[…]

Le mot de maçon

De l’époque de William Schaw jusqu’en 1696, nous ne disposons d’aucun document rituel permettant de se faire une idée précise des modes de réception et des instructions données aux membres des loges.  Cependant, un certain nombre de témoignages nous sont parvenus sur ce qui est alors appelé de Mot de maçon.

La première mention de ce Mot de maçon apparaît dans le Rapport sur les faits relatifs aux affaires de l’Eglise d’Ecosse d’août 1637 à juillet 1638, de John, comte de Rhotes, dans lequel est rapportée la rencontre du comte de Rothes et du Trésorier du Conseil, où il lui est reproché ‘’d’avoir répandu le Mot de maçon parmi les notables’’. Cette même année, on retrouve l’association du Mot de maçon et de la seconde vue dans The Muses’ Threnodie d’Henry Adamson, publié à Edimbourg.

Dans un premier sens, comprenons que ceux qui possèdent le Mot de maçon peuvent voir l’invisible, ce qui est caché, autrement dit reconnaître entre autres ceux qui sont maçons de ceux qui ne le sont pas. Mais tant parmi les nobles que les gens du peuple, il existe alors une croyance selon laquelle pour pouvoir reconnaître un maçon sans parole, sans signe apparent, relève de la sorcellerie, ….. Ainsi Sir Thomas Urquhart of Cromartie publie à Londres en 1653 un traité de langage universel, dans lequel il raconte : « Je vis une fois un jeune homme qui, ….., pour être en mesure, en vertu du Mot de maçon, de faire qu’un maçon qu’il n’avait jamais vu auparavant, vienne et le salue, et ce sans parler ni faire aucun signe apparent, fut considéré par beaucoup de la même chambrée comme ayant eu un démon familier, leur grande innocence les conduisant à appeler surnaturel, ou supérieur à ce que la nature humaine peut atteindre, ce dont ils ignoraient la cause.  Ce qui implique que les mystères philosophiques sont mis au rang de sorcellerie, ils ruinent la meilleure part de l’enseignement, et font de leur propre incompétence un juge suprême, pour rendre une sentence irrévocable sur la condamnation de la connaissance. »

Entre 1649 et 1652, une controverse éclate dans l’Eglise d’Ecosse : le Mot de maçon est-il licite ?   Un homme l’ayant reçu peut-il devenir ministre du culte ?  Le 4 juillet 1649, l’Assemblée générale de ce royaume se tint à Edimbourg. On parla dans cette assemblée de quelque chose qui se rapportait au Mot que l’on recommanda à plusieurs presbytres de mettre à l’essai. Cette assemblée siégea du 4 juillet au 6 août. La réponse donnée en 1652 par l’Assemblée de l’église de Kelso est la suivante : « Il n’y a ni péché ni scandale dans ce Mot, parce que dans les temps les plus purs de cette Eglise, des maçons ayant le Mot ont été ministres du culte, ces maçons et ces hommes ayant ce Mot ont été et sont encore les Anciens dans nos assemblées, et de nombreux professeurs possédant ce mot sont journellement admis aux sacrements. »  Comme le souligne David Stevenson, les temps les plus purs de l’Eglise presbytérienne correspondent à la période précédant le contrôle royal sur l’Eglise d’Ecosse, ce qui impliquerait que le Mot ait été connu pendant cette période, c’est-à-dire avant 1610.

Un apprenti recevant ce mot à l’issue de sa période d’apprentissage est dès lors admis dans la loge de son maître et dans toutes les loges d’Ecosse, ainsi qu’il est mentionné dans le contrat d’apprentissage établi le 28 novembre 1660 entre John Johnston, maçon, homme libre du Canongate d’Edimbourg et North Leith, et James Temple, dans lequel Johnston s’engagea à « acheter, procurer et donner audit James Temple, son apprenti, le Mot de maçon qu’il possédait lui-même ; et qu’il l’immatriculerait et installerait ledit James parmi le reste de ses compagnons artisans dans la loge qu’il possédait, de façon à ce que ledit James soit aussi compétent et aussi libre que les ouvriers de son métier de maçon, et soit un frère compagnon ouvrier comme tous ceux qui le sont de ladite loge ou toute autre loge d’Ecosse. »  Ceci montre combien la réception de ce mot est importante pour l’exercice même du travail de l’ouvrier.  Avoir reçu le Mot de maçon, c’est pouvoir exercer librement son métier, être reçu dans toutes les loges d’Ecosse, bénéficier de la caisse de secours mutuel héritière du système d’entraide des anciennes confréries.

La mention du Mot de maçon dans les Lois et Statuts des archives de la loge d’Aberdeen datés de 1670 permet de mettre en évidence sa relation avec la Maçonnerie opérative ; Les apprentis entrés et les maîtres reçoivent au moment de leur réception le bénéfice du Mot de maçon ; conformément au serment qu’ils ont prêté, ils doivent garder et participer à la boîte commune des maçons.  […] Y est ajouté certain signe secret donné de la main à la main, par lequel ils se reconnaissent et deviennent familiers l’un envers l’autre.

Plus tardivement, en Ecosse, une lettre de 1697 relate que « les seigneurs de Roslin ont été de grands architectes et protecteurs de la construction pendant ces nombreuses générations. Ils étaient obligés de recevoir le Mot de maçon, qui est un signe secret que les maçons ont à travers le monde pour se reconnaître les uns les autres. Ils prétendent qu’il est aussi vieux que Babel, du temps où ils ne pouvaient se comprendre l’un l’autre et qu’ils conversaient par signes. D’autres ne le donnent pas pour plus ancien que Salomon. De toute façon, celui qui le possède fera venir à lui son frère maçon sans l’appeler ou sans que vous perceviez le signe.