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de l’Ecossisme

              ….. Les chroniques écossoises du REP          

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 ThèmeOrigines et fondements du Rite Ecossais, de l’Ecossisme jusqu’au Royal Order of Scotland
 Auteur

JEAN-JACQUES GABUT

A l’attention de nos lecteurs,

Nous ne pouvions taire les travaux de Jean-Jacques Gabut qui dresse un panorama chronologique et historique du Rite Ecossais jusqu’à l’Ecossisme, nés de la Franc-Maçonnerie telle que celle pratiquée par les partisans Stuart à qui l’on doit la Franc-Maçonnerie française, portée par nos Jacobites et soutenue par Robert Ambelain. C’est ainsi que nous proposons à ceux de nos lecteurs qui n’en avaient pas eu connaissance de découvrir cet exposé.

     Dès que l’on aborde l’histoire de l’Ecossisme, toute une série d’obstacles se dressent devant soi. Le premier concerne l’origine même du mot ‘‘écossais’’. Le second touche à la date de naissance du Rite, que personne ne connaît encore avec certitude. Le troisième enfin, le plus délicat, va nous conduire à étudier par quelles voies, à travers quelles filiations, ce Rite, le seul qui soit « vraiment authentiquement français » pour reprendre l’affirmation citée par Albert Lantoine, du Bureau International des Relations Maçonniques de Berne en 1902, a pu éclore sur le sol de notre pays.

     Il faut, pensons-nous, prendre le terme écossais dans son essence même et le rapprocher alors de deux faits indiscutables : tout d’abord, bien avant la création de la Grande Loge de Londres et partant de la Grande Loge de France dite de Clermont, il existait sur le sol de France des Loges regroupant des initiés écossais partisans des Stuart.  Le second fait est que – tout le monde en est d’accord – c’est bien un Ecossais, le Chevalier Ramsay, lui-même partisan des Stuart, qui par son Discours de 1736 posa les bases mêmes du Rite.

     De fait, si l’on ignore la date officielle de la naissance du Rite – ce qui lui est encore spécifique puisque l’on sait fort bien par exemple que le Rite français date de 1786 et le Rite écossais rectifié de 1778 – il semble qu’il ait existé dès 1730 des ‘‘Maîtres écossais’’ dont l’Abbé Pérau nous dit dans son ouvrage, qu’ils constituaient à ce qu’il prétend, un « certain ordre supérieur aux Maçons ordinaires ».

      Si toutes les créations avancées par les historiens du XIXe siècle sont plus ou moins mises en doute par les historiens modernes, tels Daniel Ligou ou Pierre Chevallier et même Albert Lantoine, qui ne voit qu’une ‘‘fable’’ dans la ‘‘bulle d’Arras’’ de Charles-Edouard Stuart,

LONDON, ENGLAND – SEPTEMBER 29, 2017: A portrait of Charles Edward Stuart (1720-1788) painted in 1738 by Louis Gabriel Blanchet, is on display at the National Portrait Gallery in London, England. Painted in Rome by a French artist, the portrait depicts ‘Bonnie Prince Charlie’, who was the eldest son of James Francis Edward Stuart. (Photo by Robert Alexander/Getty Images)

il semble que l’on ne puisse réfuter l’existence, le 24 novembre 1754 à Paris, d’un Chapitre de Clermont par les bons soins du Chevalier de Bonneville – toujours un partisans des Stuart ! – et placée sous les auspices du comte de Clermont ainsi que d’une Loge Saint-Jean de Jérusalem attestée en 1755 et dont les statuts en 44 articles « scellés du sceau mystérieux de la Loge écossaise toujours sous l’égide du comte de Clermont », proclamaient la suprématie des grades écossais.

     De même, on connaît bien le Conseil des Empereurs d’Orient et d’Occident fondé en 1758 à Paris, dont le rôle fut déterminant dans la création ultérieure des Suprêmes Conseils puisque c’est lui et la Grande et Souveraine Loge Saint-Jean de Jérusalem qui donneront au Frère Morin sa patente de député Grand Maître Inspecteur pour instaurer aux Etats-Unis le système des hauts grades en 25 degrés codifié en 1762.

     Quoiqu’il en soit de ces créations mythiques ou réelles et de leurs dates précises, il est certain que les hauts grades écossais auront un succès foudroyant tout au long du XVIIIe siècle.

     Dès 1728, si l’on en croit Daruty, reprenant Clavel, Ragon, Thory, Jouaust, un peu plus tard si l’on s’en rapporte aux historiens modernes, en tout cas certainement à partir de 1744, il semble bien que le terrain était déjà préparé en France dès le XVIIe siècle par les Loges stuartistes qui faisaient de l’Ecossisme un courant spécifique, infiniment plus proche en vérité du catholicisme le plus orthodoxe – suivant en cela l’exemple de la Maçonnerie opérative – que du protestantisme qui allait marquer plus spécialement le Rite Ecossais Rectifié, ou de l’anglicanisme de la néomaçonnerie andersonienne.

      Cette spécificité catholique du Rite, à ses origines, est attestée par un historien contemporain, notre Frère  Robert Ambelain , peu suspect de sympathie envers l’Eglise Romaine. Il affirme l’existence de ces Loges militaires stuartistes dont il donne à la fois les titres distinctifs et les noms des Frères qui les composaient, insistant tout particulièrement sur la loge de la Garde Ecossaise qui fut très longtemps la garde personnelle de nos rois. Il cite l’existence, dès 1593, d’une Rose-Croix Royale’’ fondée par Jacques VI d’Ecosse avec 32 Chevaliers de Saint André du Chardon qui aurait précédé l’Ordre des Maîtres Ecossais de Saint André rouvert officiellement en 1687 par Jacques II Stuart.

L’Ecossisme comme drapeau

     Ce qui est particulièrement intéressant dans cet Ordre Royal d’Ecosse, c’est qu’Ambelain y voit un instrument (maçonnique) privilégié destiné à lutter contre « la déchristianisation » d’Anderson et la nouvelle rituélie imposée par le pasteur et les Modernes en 1721.

      En effet, si cela est, le Rite Ecossais se situerait bien dès son origine dans l’héritage des ‘‘Anciens’’ dans le droit fil de la Maçonnerie opérative de confession catholique. On peut évoquer à ce propos la pratique des « Trois Coups » qui était en usage dans les loges écossaises au XVIIe siècle où la réception au grade de Compagnon était sanctionnée par trois coups de maillet du Vénérable sur la tête du compas pointé par le récipiendaire sur son cœur découvert, la main droite sur l’Evangile de Jean. Cet usage se perpétuait dans toutes les loges jacobites de France, où les trois coups étaient frappés par allusion à un symbolisme religieux indiquant que l’Esprit Saint procédait par spiration du Père et du Fils. Point ne serait besoin de recourir alors, comme certains auteurs l’ont fait, avec une certaine légèreté, semble-t-il au « complot des Jésuites » se servant des hauts grades écossais de la Maçonnerie pour parvenir à leurs buts. L’esprit catholique des Loges stuartistes était là…  Il suffisait à Ramsay de le recueillir et d’y apporter sa propre vision de l’Ecossisme.  Ce qu’il allait faire avec talent dans son fameux discours prononcé le 26 décembre 1736 ( ?) à la Tenue de Grande Loge de la Saint Jean d’hiver. D’emblée Ramsay ajoute une filiation chevaleresque à la filiation opérative de l’Ordre, né, rappelle-t-il, dans les corporations de bâtisseurs au temps de Salomon. Ce sont les Croisés, affirme-t-il, qui ont retrouvé en Terre Sainte la filiation opérative et lui ont adjoint son caractère chevaleresque ne faisant ainsi que reprendre l’exemple des « Israélites lorsqu’ils élevèrent le second Temple, la truelle et le mortier d’une main, de l’autre l’épée et le bouclier ». C’est à ces mêmes croisés, ajoute-t-il, que nous devons nos « signes figuratifs et nos paroles sacrées, inventés par eux pour se garantir des Sarrasins ».

      Certes, dans ses principes généraux, le discours de Ramsay peut être considéré comme l’un des fondements de l’Ordre en général, quels que soient les Rites. Il en va ainsi lorsqu’il définit les objectifs de la Franc-Maçonnerie : « réunir tous les hommes éclairés par les grands principes de vertu, de science et de religion ». Il en va ainsi également lorsqu’il rappelle l’héritage des mystères antiques, lorsqu’il parle de l’exclusion des femmes dont la présence pourrait « altérer la pureté » de nos mœurs et même lorsqu’il évoque l’universalisme propre à l’Ordre en ces termes : « le monde entier n’est qu’une république dont chaque nation est une famille et chaque particulier un enfant ». Cet universalisme, il l’emprunte à Cicéron qui déclarait : « l’univers est une grande république dont les dieux inférieurs et les hommes sont les citoyens et le Grand Dieu Tout Puissant le Prince et le Père commun. Si la raison est commune à tous, la Loi nous est commune aussi », mais surtout à son père spirituel Fénelon qui avait affirmé dans le Télémaque : « tout le genre humain n’est qu’une famille dispersée sur la face de toute la terre. Tous les peuples sont frères et doivent s’aimer comme tels ». Comme Fénelon aussi, Ramsay se fait l’apôtre d’une idée neuve pour les Français de l’époque : la tolérance.

     « Dieu ne créa pas les peuples esclaves du prince mais il a créé les princes pour ses sujets, pour les aimer, pour les soutenir, sinon il est un ‘‘tyran’’, écrit-il dans son Apologie du Taciturne, ajoutant : « nous avons commencé à faire admettre la liberté de conscience ». Il faisait ainsi écho au Cygne de Cambrai, Fénelon, qui avait eu ces paroles prophétiques en 1723 : « quand les souverains s’accoutument à ne connaître d’autres lois que leurs volontés absolues, ils sapent le fondement de leur puissance. Il viendra une révolution soudaine et violente qui, loin de modérer leur autorité excessive, l’abattra sans ressource ».

     Ne sont-ce pas là les principes de base de toute la Franc-Maçonnerie, écossaise ou autre ? Mais ce que Ramsay va apporter en plus et qui fera la spécificité de l’Ecossisme, même s’il n’en est pas le créateur mais seulement ‘‘l’inspirateur’’, tout comme Fénelon, selon Naudon, en est « indiscutablement le père spirituel », c’est cette filiation ‘‘écossaise’’. Ramsay a fait son discours en France et pour les Français. A ceux-ci, il a rappelé « l’étroite alliance » des Français et des Ecossais à qui « nos Rois confèrent la garde de leur personne sacrée ». Ce faisant, Ramsay n’avait d’autre but que de faire échapper les Frères français à l’influence anglaise et à l’anglicanisme.

Un rite spécifiquement écossais

     Mais la spécificité de l’Ecossisme prôné par Ramsay va probablement encore plus loin. Il semble bien en effet que le contenu de la légende d’Hiram serait bien né en Ecosse. J’en vois la preuve dans l’édification au XVe siècle, au sud d’Edimbourg, dans l’ancienne commanderie de Balantradoch, de Rosslyn Chapel, cette cathédrale inachevée dédiée à la Vierge Marie où l’on voit un ‘‘pilier de l’apprenti’’ destiné à commémorer le meurtre d’un apprenti par un maître jaloux de l’œuvre que le premier avait su terminer en dépassant le second en science et en beauté. La tête du meurtrier a été sculptée au-dessus de la porte occidentale au côté d’une femme que l’on appelle la Mère-veuve. L’apprenti-maçon est ainsi nommé fils de la Veuve, et cela des siècles avant l’introduction du mythe d’Hiram. Il est à noter que Rosslyn Chapel fut bâtie par  les Sinclair, famille dont les membres furent par la suite tous liés à la Franc-maçonnerie.

     Même si le mythe connaît là une étrange ‘‘inversion’’, le fait n’en tendrait pas moins à prouver que la légende d’Hiram était déjà connue en tout ou en partie dès le XVe siècle par les Maçons écossais. La création du troisième grade, ignoré au moins jusqu’en 1730 par la Maçonnerie moderne anglo-saxonne, serait ainsi une spécificité de plus du Rite Ecossais. Pour Albert Lantoine, cela ne fait aucun doute : le grade de Maître fut créé par la Rose-Croix jacobite et donc pratiqué dans les Loges écossaises d’Acceptés en territoire français bien avant son apparition officielle dans la Maçonnerie dite spéculative : « La Franc-maçonnerie anglaise, écrit Lantoine, a pris aux Ecossais leur grade de Maître comme la chrétienté s’est enrichie ingénument de certaines dépouilles du paganisme ».

     La difficulté à laquelle se sont heurtés tous les historiens du REAA vient du fait que l’on n’a pas très bien observé, à mon sens, qu’il pouvait y avoir sur le sol écossais deux traditions maçonniques quelque peu différentes. L’une, celle des opératifs, proche de la Grande Loge de Londres qui suivra le même destin, après 1717, que celui de la Maçonnerie anglaise. Et l’autre, plus souterraine sans doute des Loges de Maçons Acceptés dont toute l’île de Grande-Bretagne sera parsemée dès la fin du XVIe siècle et où les influences extérieures, des Chevaliers du Temple notamment, se feront particulièrement ressentir. Ce qui n’empêche pas bien sûr, comme l’a fort justement souligné l’historien britannique Robert-Freke Gould, qu’une des particularités du REAA vient des liens étroits entretenus par l’Ecosse avec la France. C’est en France que ‘‘les Ecossais vont chercher leurs modèles’’ ajoute-t-il, semblant ainsi accorder foi à la tradition qui voudrait que le rite introduit par les Ecossais ait été ensuite modifié, élaboré et perfectionné par les Français, ce qui, après tout, n’est pas du tout une incongruité…  On sait en effet que les rituels opératifs étaient brefs, sommaires même pourrait-on dire, et que n’y entraient pratiquement que des éléments de métier.

     L’existence d’un autre Ecossisme expliquerait l’hostilité affichée de la Grande Loge d’Ecosse aux Hauts Grades Ecossais de France et la création en 1750 d’un ‘‘Ordre Royal d’Ecosse de Heredom de Kilwinning’’, réplique écossaise mais anglicane à l’Ecossisme de France qu’il tint à combattre sur son propre terrain en créant à son tour des Chapitres de Hauts Grades, ce qui ne fit qu’ajouter à la confusion. D’où la nécessité d’une remise en ordre qui aboutit d’abord au ‘‘Système de 1762’’ puis aux Grandes Constitutions de 1786 (faussement attribuées à Frédéric II de Prusse) et enfin à la création des Suprêmes Conseils des Etats-Unis (Charleston en 1802) et de France (en 1804).

     Une fois l’impulsion donnée, il convenait d’échafauder un système cohérent, qui soit à la fois l’héritier des traditions anciennes et le creuset des disciplines ésotériques nées des courants de la Rose-Croix, de l’Hermétisme et de la Kabbale…

     Ce sera la tâche des Maçons anonymes qui cent fois sur le métier remettront leur ouvrage, patiemment, obstinément, en n’omettant aucune source, aucune voie de la ‘‘Gnose’’, en voulant que le Rite Ecossais soit vraiment la quintessence du savoir initiatique. C’est là que nous touchons à l’essence même du Rite et à sa constitution.

Texte de Jean-Jacques GABUT déposé sur le site du REP en novembre 2014

NB : les caractères gras et colorés de rouge ont été rajoutés par nos soins.