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Masonry dissected – Samuel Prichard 1730

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Thème

MASONRY DISSECTED   Samuel Prichard 1730

Source

   reproduit dans son intégralité   Traduction Gille Pasquier –   Commentaires Hervé Vigier

La première publication de cette divulgation remonte au 20 octobre 1730. Le succès fut tel qu’un second tirage intervint dès le 23 octobre et un troisième le 31 octobre. Pour réaliser complètement l’ampleur du phénomène, il faut y ajouter la version « pirate » parue dans les « READ’S WEEKLY JOURNAL » et les deux du « NORTHAMPTON MERCURY » !   D’après Harry CARR, son auteur Samuel Prichard, était en 1728 membre de la Loge « La tête d’Henry VIII » et visiteur de la Loge « Le cygne et la coupe ».
Convaincu, après avoir été reçu maçon, que la Maçonnerie représente une parfaite escroquerie, l’auteur écrit sa divulgation pour éviter à ses contemporains la même malheureuse expérience. Cette réaction nous permet un accès aux rituels de la Grande Loge des Modernes tels qu’ils parvenaient à la même époque en France.

Ce rituel aurait sinon été probablement inconnu puisque exclusivement véhiculé par la tradition orale. L’absence de tout écrit constitue la raison de notre ignorance du rituel adopté par la Grande Loge de 1717, dont nous connaissons seulement le principe d’un rituel en deux grades, Apprentis et Compagnons. Les Loges étant présidées par le Maître de la Loge, sans que le 3ème Grade n’existe encore, avant 1725 en Angleterre. La présente divulgation ne constitue donc pas la forme première que revêtit le rituel de la Grande Loge de Londres, puisque la légende d’Hiram y apparaît. Les détracteurs bavards constituent ainsi pour notre époque les plus puissants alliés pour la reconstitution de l’histoire maçonnique. Sans oublier que des erreurs peuvent s’être glissées qu’analyse et comparaison permettent de repérer. Qu’enfin leurs auteurs ne sont porteurs que de la lettre, pour être passé à côté de l’esprit. Même si comme dans le cas présent il s’agit d’un Maçon. Raison pour laquelle nous ne reprenons que l’instruction, sans les quelques commentaires personnels de Prichard.

Il faut également garder présent à l’esprit qu’en Maçonnerie rien n’est aussi simple que les historiens le souhaiteraient, puisque d’une Loge à l’autre et à la même époque, non seulement les rituels pratiqués sont loin d’être rigoureusement identiques mais de plus les mêmes grades ne sont pas pratiqués. Le texte ci-dessous permet le premier contact avec le rituel du 3ème grade dont on sait par ailleurs qu’en 1738, donc plusieurs années plus tard, il n’était pas encore pratiqué par toutes les Loges de la Grande Loge de Londres.

TRADUCTION

La Maçonnerie disséquée, ou la description authentique et universelle de toutes ses branches depuis l’origine jusqu’aux temps présents ; telle qu’elle est transmise dans les Loges régulièrement constituées à la ville comme à la campagne, conformément aux divers grades de réception.

Donnant un récit fidèle de leur manière régulière d’initier les nouveaux membres aux trois grades de la Maçonnerie qui sont : 1°) Apprenti entré, 2°) Compagnon du métier, 3°) Maître. À quoi se trouve ajoutée la justification de l’auteur par lui-même.

Troisième édition. Par Samuel Prichard ancien membre d’une Loge constituée. Londres: imprimé pour J. Wilford, aux Trois Fleurs de Lys derrière la maison du Chapitre près de Saint Paul. 1730. Prix 6 pences.

le Grade d’Apprenti Entré

  • D’où venez-vous ?   De la Sainte Loge de Saint -Jean.
  • Quelles recommandations en apportez-vous ?   Les recommandations des justes et respectables Frères et Compagnons, de la Juste, Respectable et Sainte Loge de Saint-Jean d’où je viens et qui vous saluent par trois fois de bon cœur.
  • Que venez-vous faire ici ?   Je ne viens pas faire ma propre volonté, mais soumettre ma passion, mettre en pratique les règles de la Maçonnerie, et ce faisant progresser chaque jour.
  • Etes-vous un Maçon ?   Mes Frères et Compagnons me reçoivent et m’acceptent comme tel.
  • Comment saurai-je que vous êtes Maçon ?   Par les signes, attouchements et points parfaits de mon entrée.
  • Que sont les signes ?   Toutes équerres, tous angles et toutes perpendiculaires.
  • Que sont les attouchements ?   Certaines griffes régulières et fraternelles.
  • Donnez -moi les points de votre entrée.  Donnez moi le premier et je vous donnerai le second.   Je le garde.   Je le cache.
  • Que cachez-vous ?   Tous les secrets et mystères des Maçons et de la Maçonnerie, sauf envers un Frère véritable et régulier après un examen rigoureux ou dans une juste et respectable Loge de Frères et Compagnons régulièrement assemblés.
  • Où avez-vous été reçu Maçon ?   Dans une Loge juste et parfaite.
  • Qu’est-ce qui rend une loge juste et parfaite ?   Sept ou davantage.
  • Que sont-ils ?   Un Maître, deux Surveillants, deux Compagnons du métier et deux Apprentis entrés.
  • Qu’est-ce qui forme une Loge ?   Cinq.
  • Que sont-ils ?   Un Maître, deux Surveillants, un Compagnon du métier, un Apprenti entré.
  • Qui vous amena dans la Loge ?   Un Apprenti entré.
  • Comment vous y fit-il venir ?   Ni nu ni vêtu, ni pied nu ni chaussé, dépourvu de tous métaux et dans une disposition de mouvement sincère.
  • Comment avez -vous été admis ?   Par trois grands coups.
  • Qui vous reçut ?   Le second Surveillant.
  • Que fit-il de vous ?   Il m’emmena dans la partie Nord-Est de la Loge, puis me ramena à l’Ouest et me confia au premier Surveillant.
  • Que fit de vous le premier Surveillant ?   Il me présenta et me montra comment aller (par trois pas) vers le Maître.
  • Que fit de vous le Maître ?   Il me reçut Maçon.
  • Comment vous reçut-il Maçon ?  Avec mon genou dénudé, fléchi, le corps en Equerre, le Compas ouvert sur le sein gauche dénudé, la main droite nue sur la Sainte Bible. Là je pris l’obligation (ou serment) du Maçon.
  • Pouvez-vous répéter cette Obligation ?   Je ferai mon possible.

L’Obligation est comme suit :

Moi, par ceci, je promets et je jure, en présence de Dieu tout puissant et de cette juste et respectable Assemblée, de garder et cacher, et de ne jamais révéler les secrets et mystères des Maçons et de la Maçonnerie qui me seront révélés. Sauf à un Frère véritable et régulier, après un examen rigoureux, dans une juste et respectable loge de Frères et Compagnons régulièrement assemblés. En outre je promets et jure de ne pas les écrire, imprimer, marquer, ciseler ou graver, ni de les faire écrire, imprimer, marquer, ciseler ou graver sur le bois ou la pierre, de sorte que le caractère visible ou l’impression d’une lettre pourrait apparaître, par quoi il pourrait être obtenu irrégulièrement. Tout cela sous une peine qui ne serait pas moindre que d’avoir la gorge tranchée, la langue arrachée du fonds de la bouche, le cœur arraché du sein gauche, pour qu’ils soient enfouis dans les sables de la mer, à une encablure de la plage, là où la marée descend et monte deux fois en vingt-quatre heures ; mon corps devant être réduit en cendres, mes cendres dispersées à la surface de la terre, de sorte qu’il n’y ait plus souvenance de moi parmi les Maçons.  Ainsi que Dieu me soit en aide.

  • Quelle est la forme de la Loge ?   Un carré long.
  • Quelle est sa longueur ?   D’Est en Ouest.
  • Quelle est sa largeur ?   Du Nord au Sud.
  • Quelle est sa hauteur ?   Des pouces, des pieds et des yards innombrables qui vont jusqu’aux cieux.
  • Quelle est sa profondeur ?   Jusqu’au centre de la terre.
  • Où se tient la Loge ?   Sur une terre sacrée, ou sur la plus haute colline, la plus profonde vallée, ou dans la vallée de Josaphat, ou encore dans tout autre endroit secret.
  • Comment es t-elle disposée ?   Exactement d’Est en Ouest.
  • Pourquoi cela ?   Parce que toutes les Eglises et Chapelles sont ou devraient être ainsi disposées.
  • Qu’est-ce qui soutient une Loge ?   Trois piliers.
  • Comment s’appellent-ils ?   Sagesse, Force et Beauté.
  • Pourquoi cela ?   La Sagesse pour inventer, la Force pour soutenir et la Beauté pour orner.
  • Comment votre Loge est-elle couverte ?   Par un dais de nuages de diverses couleurs (ou les nuages).
  • Avez-vous des meubles dans votre Loge ?   Oui.
  • Lesquels ?   Le Pavé Mosaïque, l’Etoile flamboyante et la Houppe dentelée.
  • Que sont-ils ?   Le Pavé Mosaïque est le sol de la Loge, l’Etoile flamboyante en est le centre et la Houppe dentelée la bordure qui l’entoure.
  • Que sont les autres meubles de la Loge ?   La Bible, le Compas et l’Equerre.
  • À qui appartiennent-ils en propre ?   La Bible à Dieu, le Compas au Maître et l’Equerre au Compagnon du métier.
  • Y a-t-il des bijoux dans votre Loge ?   Oui.
  • Combien ?   Six. Trois mobiles, et trois immobiles.
  • Quels sont les bijoux mobiles ?   L’Equerre, le Niveau et le Fil à plomb.
  • Quels sont leurs usages ?  L’Equerre pour poser [les pierres] selon des lignes justes et d’équerre, le Niveau pour vérifier toutes les horizontales, et le Fil à plomb pour vérifier toutes les verticales.
  • Quels sont les bijoux immobiles ?   La Planche à tracer, la Pierre cubique et la Pierre dégrossie.
  • Quels sont leurs usages ?   La Planche à tracer pour que le Maître y trace ses plans, la Pierre cubique pour que les Compagnons du métier éprouvent leurs outils dessus et la Pierre dégrossie pour que les Apprentis entrés apprennent à travailler dessus.
  • Y a-t-il des Lumières dans votre Loge ?   Oui, trois.
  • Que représentent-elles ?   Le Soleil, la Lune et le Maître Maçon.

N.B. : Ces lumières sont trois chandelles posées sur de grands chandeliers.

  • Pourquoi cela ?   Le Soleil pour présider au jour, la Lune à la nuit, et le Maître Maçon à sa Loge.
  • Avez-vous des Lumières immobiles dans votre Loge ?   Oui.
  • Combien ?   Trois.  Ces Lumières immobiles sont trois fenêtres censées (bien qu’inutilement) exister dans tout local où se tient une Loge, mais ce sont plutôt les quatre points cardinaux, selon les anciennes règles de la Maçonnerie.
  • Où sont-elles situées ?   À l’Est, au Sud et à l’Ouest.
  • A quoi servent-elles ?   À éclairer les hommes avant, pendant et après leur travail.
  • Pourquoi n’y a-t-il pas de lumière au nord ?   Parce que le Soleil n’envoie pas de rayon dans cette direction.
  • Où se tient le Maître ?   À l’Est.
  • Pourquoi cela ?   Comme le soleil se lève à l’Est et ouvre le jour, le Maître se tient à l’Est (avec sa main droite sur le sein gauche formant un signe, et l’Equerre pendue à son cou) pour ouvrir la loge et mettre ses ouvriers au travail.
  • Où se tiennent les Surveillants ?   À l’ouest.
  • Quel est leur travail ?   Comme le soleil se couche à l’Ouest pour clore le jour, les Surveillants se tiennent à l’Ouest (avec leur main droite sur le sein gauche formant un signe, et le Niveau et le Fil à plomb pendus à leur cou) pour fermer la Loge, renvoyer les ouvriers du travail et leur verser leur salaire.
  • Où se tient le plus ancien Apprenti entré ?   Au sud.
  • Quel est son travail ?   Ecouter et recevoir les instructions, et accueillir les Frères étrangers.
  • Où se tient le plus jeune Apprenti entré ?   Au Nord.
  • Quel est son travail ?   Tenir à l’écart les Cowans et les indiscrets.
  • Si un Cowan (ou un indiscret) est surpris, comment doit-il être puni ?   Il doit être placé sous les gouttières de la maison (par temps de pluie) jusqu’à ce que l’eau coule sur ses épaules et de la jusqu’à ses souliers.
  • Que sont les secrets de Maçons ?   Des signes, des attouchements et de nombreux mots.
  • Où gardez-vous ces secrets ?   Sous mon sein gauche.
  • Avez-vous quelque clé de ces secrets ?   Oui.
  • Où la gardez -vous ?   Dans une boîte d’os, qui ne s’ouvre ni ne se ferme jamais sans une clé d’ivoire.
  • Est-elle pendue ou posée ?   Elle est pendue.
  • Par quoi est-elle pendue ?   Par un câble de neuf pouces ou une boucle.
  • De quel métal est-elle faite ?   Il n’y entre aucun métal. Mais une langue de bonne réputation est aussi bonne derrière le dos d’un Frère qu’en face de lui.

N.B. : La clé est la langue, la boîte d’os les dents et le câble le palais.

  • Combien de principes y a-t-il en Maçonnerie ?   Quatre.
  • Que sont-ils ?   Le point, la ligne, la surface et le volume.
  • Expliquez-les.   Le point est le centre, (autour duquel le Maître ne peut errer), la ligne est la longueur sans largeur, la surface est la longueur et la largeur, et le volume les comprend tous à la fois.
  • Combien y a-t-il de signes fondamentaux ?   Quatre.
  • Que sont-ils ?   Le guttural, le pectoral, le manuel et le pédestre.
  • Expliquez-les.   Le guttural sur la gorge, le pectoral sur la poitrine, le manuel à la main, le pédestre au pied.
  • Qu’avez-vous appris comme Gentilhomme Maçon ?   Le secret, la moralité et la camaraderie.
  • Qu’avez-vous appris comme Maçon opératif ?   La couleur, l’Equerre, le façonnage de la pierre, poser un niveau et élever une perpendiculaire.
  • Avez-vous vu votre Maître aujourd’hui ?   Oui.
  • Comment était-il vêtu ?   D’une veste jaune et d’une culotte bleue.

N.B. : La veste jaune c’est le Compas et la culotte bleue les pointes d’acier du Compas.

  • Combien de temps servez-vous votre Maître ?   Du lundi matin au samedi soir.
  • Comment le servez-vous ?   Avec la craie, le charbon et le plat de terre cuite.
  • Que signifient ces termes ?   La liberté, la ferveur et le zèle.
  • Donnez -moi le signe d’apprenti entré.   Réponse: étendre les quatre doigts de la main droite et les retirer en travers de la gorge. C’est le signe qui constitue une demande d’attouchement.

N.B. : Un attouchement se fait en joignant le bout du pouce de la main droite sur la première phalange de l’index de la main droite du Frère qui demande le mot.

  • Donnez-moi le Mot.   Je l’épellerai avec vous.   L’examinateur dit : B,  c’est-à-dire BOAZ.  L’interrogé : O, L’examinateur : A,  L’interrogé : Z, Donnez-moi un autre mot. – JACHIN

N.B. : BOAZ et JACHIN étaient deux colonnes du Porche du Temple de Salomon.

  • Quel âge avez-vous ?   Moins de sept ans (montrant par-là qu’il n’a pas été fait Maître).
  • A quoi sert le jour ?   A voir.
  • A quoi sert la nuit ?   À entendre.
  • Comment souffle le vent ?   D’Est en Ouest.
  • Quelle heure est-il ?   Minuit plein.

Fin de la partie de l’Apprenti entré.

Le Grade de Compagnon du métier

  • Etes-vous compagnon du métier ?   Je le suis.
  • Pourquoi avez-vous été fait compagnon ?   Pour connaître la lettre G .
  • Que signifie cette lettre ?   Géométrie ou la 5e science.
  • Avez-vous déjà voyagé ?   Oui, d’Est en Ouest.
  • Avez -vous déjà travaillé ?   Oui, à la construction du Temple.
  • Où avez-vous reçu votre salaire ?   Dans la Chambre du milieu.
  • Comment êtes-vous parvenu à la Chambre du milieu ?   Par le Porche.
  • Qu’avez-vous vu en passant sous le Porche ?   Deux grandes colonnes.
  • Comment s’appellent-elles ?   J-B. C’est à dire JACHIM et BOAZ
  • Quelle est leur hauteur ?   Dix-huit coudées.
  • Quelle est leur circonférence ?   Douze coudées.
  • Comment sont-elles décorées ?   Avec deux chapiteaux.
  • De quelle hauteur sont les chapiteaux ?   Cinq coudées.
  • Comment sont-ils décorés ?   De réseaux et grenades.
  • Comment êtes-vous parvenu à la Chambre du milieu ?   Par une paire d’escaliers tournants.
  • Combien de Maçons faut-il pour faire une Loge juste et parfaite ?   Sept ou plus.
  • Pourquoi sept ou plus ?   Parce que sept ou plus font une Loge juste et parfaite.
  • Qu’avez-vous vu lors de votre arrivée à la porte de la Chambre du milieu ?   Un Surveillant.
  • Que vous a-t-il demandé ?   Trois choses.  Un signe, un attouchement et un mot.

N.B. : Le signe se fait en mettant la main droite sur le sein gauche, l’attouchement en prenant la main droite de la personne qui fait la demande et en pressant avec l’extrémité du pouce sur la première phalange de son médius ; et le mot est Jachim.

  • De quelle hauteur était la porte de la Chambre du milieu ?   Si haute qu’un Cowan ne pourrait planter une épingle à son sommet.
  • Qu’avez-vous vu en arrivant au centre ?   L’ image de la lettre G .
  • Que signifie encore cette lettre G ?   Le nom de quelqu’un qui est plus grand que vous.
  • Qui est plus grand que moi, qui suis Maçon libre et accepté, le Maître d’une Loge ?   Le Grand Architecte et Créateur de l’Univers, ou celui qui fut élevé jusqu’au Pinacle du Temple sacré.
  • Savez-vous transmettre la lettre G ?   Je ferai de mon mieux.

La transmission de la lettre G

  • Le tuilé : Au milieu du Temple de Salomon se trouve la lettre G, une lettre bonne à lire et à voir pour tous, mais rares sont ceux qui comprennent, ce que signifie la lettre G.
  • Le tuileur : Mon ami, si vous prétendez appartenir à cette fraternité vous pouvez dire tout de suite et avec exactitude ce que signifie cette lettre G.
  • Le tuilé : Des corps de différentes sortes sont découverts par la science, qui paraissent dans leur perfection, mais personne sauf un homme ne saura ma pensée.
  • Le tuileur : Celui qui est Juste saura. Le tuilé : S’il est Respectable.
  • Le tuileur : Je suis à la fois Juste et Respectable, j’ai mission de vous demander de m’éclaircir tout de suite, puisque je peux vous comprendre.
  • Le tuilé : Par quatre lettres et la cinquième science, ce G véritable repose sur les règles de l’art et sur la proportion, vous avez votre réponse mon Frère.

N.B. : Les quatre lettres sont BOAZ. La 5e science est la Géométrie.

  • Le tuileur : Mon ami, vous répondez bien, si vous me donner les principes justes et libres je changerai votre titre d’ami dorénavant pour celui de Frère.
  • Le Tuilé : Les sciences sont bien ordonnées selon la noble structure de la poésie un point, une ligne et une étendue, mais la fin est un solide. Que le salut de Dieu soit sur notre heureuse réunion.   Et sur tous les Justes et Respectables Frères et Compagnons de la Juste, Respectable et Sainte Loge de Saint-Jean doù je viens.  Je vous salue, je vous salue, je vous salue par trois fois de bon cœur et désire connaître votre nom.
  • Timothy Ridicule.   Bienvenue mon Frère par la Grâce de Dieu.

N.B. : La raison pour laquelle ils se disent membres de la Sainte Loge de Saint-Jean, est qu’il fut le précurseur du Sauveur et traça la première ligne parallèle à l’Evangile. (D’autres assurent que notre sauveur lui-même fut reçu Franc-Maçon, du temps où le verbe s’était fait chair). Mais bien que cela semble ridicule et profane, je laisse au sage lecteur le soin de juger.

Fin de la partie du Compagnon de métier

Le Grade de Maître

  • Etes-vous Maître Maçon ?   Je le suis, vérifiez le, éprouvez-moi et réfutez le si vous le pouvez.
  • Où avez-vous été reçu Maître ?   Dans une parfaite loge de Maîtres.
  • Qu’est-ce qui fait une parfaite loge de Maîtres ?   Trois.
  • Comment êtes-vous parvenu à devenir Maître ?   Avec l’aide de Dieu, de l’Equerre et de mon propre travail.
  • Comment avez -vous été fait Maître ?   De l’Equerre au Compas.
  • Je présume que vous avez été Apprenti entré.   J’ai vu Jachin et Boaz.
  • J’ai été fait Maître Maçon, c’est le plus rare, avec le Parpaing, la Pierre cubique et l’Equerre.
  • Si vous voulez être Maître Maçon, vous devez bien comprendre la règle de trois.  Et M.B. vous rendra libre et tout ce que vous attendez de la Maçonnerie, vous sera montré dans cette loge.
  • Je comprends la vraie Maçonnerie. Les clés de toutes les loges sont en mon pouvoir.
  • Vous êtes un héroïque Compagnon ; d’où venez-vous ?   De l’Est.
  • Où allez -vous ?   À l’Ouest.
  • Qu’allez-vous y faire ?   Je vais y chercher ce qui était perdu et qui est maintenant retrouvé.
  • Qu’est-ce donc qui était perdu et qui est maintenant retrouvé ?   Le mot de Maître Maçon.
  • Comment fut-il perdu ?   Par trois grands coups, ou par la mort de notre Maître Hiram.
  • Comment mourut-il ?   C’était le Maître Maçon sur le chantier du Temple de Salomon, et à midi plein, alors que les ouvriers étaient allés se rafraîchir, il vint inspecter les travaux comme c’était son habitude. Après qu’il soit entré dans le Temple, trois agresseurs, que l’on suppose être trois Compagnons du métier, se postèrent aux trois portes. Et quand Hiram voulu sortir, le premier lui demanda le mot de Maître. Il répondit qu’il ne l’avait pas reçu de cette manière, mais que le temps et un peu de patience l’apporteraient à ce Compagnon. Celui-ci mécontent de cette réponse, donna à Hiram un coup qui le fit chanceler. Il se dirigea vers une autre porte où il fut accueilli de la même manière et fit la même réponse. Il reçut alors un coup plus violent. Au troisième coup, il trouva la mort.
  • Avec quoi ses agresseurs l’avaient-ils frappé ?   Un maillet, un niveau et une masse.
  • Que firent-ils de son corps ?   Ils le sortirent par la porte Ouest du Temple et le cachèrent sous un buisson jusqu’à minuit.
  • Quelle heure était -il alors ?   Minuit plein, l’heure où les ouvriers se reposent.
  • Que firent-ils du corps ensuite ?   Ils le transportèrent au sommet d’une colline où ils creusèrent une tombe décente et l’enterrèrent.
  • Quand s’aperçut-on de son absence ?   Le même jour.
  • Quand fut-il retrouvé ?   Quinze jours après.
  • Qui le retrouva ?   Quinze frères fidèles qui, par ordre du roi Salomon, sortirent par la porte Ouest du Temple et se séparèrent en deux groupes, vers la droite et vers la gauche, en restant à portée de voix les uns des autres. Et ils tombèrent d’accord pour décider que s’ils ne trouvaient pas le mot sur lui où près de lui, le premier mot serait le mot de Maître. Un de ces Frères étant plus fatigué que les autres, s’assit pour se reposer et prit en main une brindille qui s’arracha aisément. Constatant alors que la terre avait été retournée, il appela ses Frères qui, poursuivant leur recherche, découvrirent le corps d’Hiram décemment enterré dans une belle tombe de six pieds de l’Est à l’Ouest et six en perpendiculaire, dont la couverture était faite de mousse verte et de gazon, ce qui les étonna. Là-dessus il dirent : « Muscus Domus Dei Gratia ». Ce qui d’après la Maçonnerie signifie : « Merci mon Dieu, notre Maître a une maison au toit couvert de mousse ».  Alors ils le recouvrirent soigneusement et comme ornement supplémentaire, placèrent un pied de cassia à la tête de la tombe. Ils partirent ensuite informer le Roi Salomon.
  • Que dit le roi Salomon de tout cela ?   Il ordonna qu’on l’exhume et qu’on l’enterre décemment, et que ces quinze Compagnons du métier assistent à ses funérailles munis de gants blancs et de tabliers. (Cet usage continua chez les Maçons jusqu’à nos jours).
  • Comment Hiram fut -il relevé ?   Comme le sont tous les autres Maçons lorsqu’ils reçoivent le mot de Maître.
  • Comment cela ?   Par les cinq points du compagnonnage.
  • Que sont-ils ?   Main à main, pied contre pied, joue contre joue, genou contre genou, et main dans le dos.

N.B. : Quand Hiram fut exhumé, ils le saisirent par l’index et la peau se détacha. C’est ce qu’on appelle l’arrachement. Saisir la main droite et placer le médius sous le poignet [de la personne dont on prend la main], placer l’index et l’annulaire sur les côtés du poignet. C’est ce qu’on appelle la griffe. Le signe se fait en mettant le pouce de la main droite sur le sein gauche, les doigts étendus.

  • Quel est le nom de Maître Maçon ?   Cassia est mon nom et je viens d’une loge juste et parfaite.
  • Où Hiram fut-il inhumé ?   Dans le Saint des Saints.
  • Par où y fut -il transporté ?   Par la porte Ouest du Temple.
  • Que sont les bijoux de Maître ?   Le Porche, les Fenêtres et le Pavé carré.
  • Expliquez-les.   Le Porche est l’entrée du Saint des Saints, les Fenêtres les lumières qui sont à l’intérieur et le Pavé carré le sol de la loge.
  • Donnez-moi le mot de Maître.   Il se murmure à l’oreille et s’accompagne des cinq points du Compagnonnage déjà mentionnés. On dit M.B., ce qui signifie « le constructeur est tombé ».

N.B. : Si des Maçons sont au travail et si vous voulez distinguer un Maçon accepté des autres, prenez un morceau de pierre et demandez lui ce que cela sent. Il répondra immédiatement « ni le cuivre, ni le fer, ni l’acier, mais c’est l’odeur d’un Maçon ». Alors demandez-lui quel âge il a ; il répondra « sept ans et plus », ce qui prouve qu’il a été reçu Maître.

Fin de la partie de Maître

Commentaire sur les origines de la Maçonnerie spéculative

Dès la première lecture de ce texte, l’analyste est frappé par la ressemblance des éléments proposés avec les rituels actuellement pratiqués dans la régularité par les loges du Rite Français, héritières indiscutables des Modernes de 1717.

La divulgation de Prichard qui détaille pour la première fois le grade de Maître, inconnu en Angleterre lors de la création de la Grande Loge de Londres, montre une phase d’éclatement de l’ensemble de la symbolique d’origine. Avec des orthographes variables les mots J. et B. sont encore tous les deux affectés à l’apprenti : ‘’Je présume que vous avez été apprenti entré.    J’ai vu J. et B.’’   Mais une tendance commence à se faire jour de privilégier B pour le compagnon, en liaison avec la lettre G :   « Par quatre lettres et la 5e science, le G véritable repose sur les règles de l’art et sur la proportion, vous avez votre réponse mon frère. N.B. Les quatre lettres sont BOAZ. La 5e science est la Géométrie« .

Nous retrouvons là aussi les prémisses des spécificités du futur Rite Français qui, non pas à la suite d’une inversion, mais naturellement et progressivement attribue J à l’apprenti, B et G au compagnon. D’autres rituels issus de racines ou d’une évolution différente affecteront la lettre G au grade de Maître, le J aux Compagnons et B à l’Apprenti. (Voir dictionnaire thématique illustré de la Franc-Maçonnerie, rubriques « Anciens et Modernes » et « Etoile Flamboyante et lettre G »).

L’apparition du grade de Maître pose le délicat problème de son origine. Il faut exclure l’explication simpliste d’une origine immémoriale au sein de la Maçonnerie. On doit au contraire admettre que la constante ébullition constatée à partir de 1717, au sein de la Maçonnerie spéculative apporte chaque année des introductions intentionnelles reposant elles même sur un enseignement traditionnel enrichi et adapté dont les origines sont parfois délicates à déterminer. Parmi ces innovations certaines firent long feu, d’autres ne s’inséreront que dans tel rituel, donnant un profil propre au rite qui l’adopte, d’autres enfin, comme pour la légende d’HIRAM, prendront rapidement l’essor le plus complet, donnant abusivement l’impression d’avoir toujours existé.

La recherche des origines du grade de Maître amène inévitablement à la question première et plus obscure encore : quelle est l’origine de la Franc-Maçonnerie spéculative ?   Les quatre loges « L’oie et le gril », « La couronne », « Le pommier », « Le gobelet et les raisins », dénominations qui se référaient aux enseignes des auberges où elles se réunissaient, constituaient le 24 juin 1717, la Grande Loge de Londres. Elles paraissent sortir du néant et nous ignorons tout de leurs origines et dates de fondation. De même nous restons très largement ignorants sur les conditions d’apparition de la Maçonnerie spéculative. La présentation classique d’une origine médiévale assise sur la maçonnerie opérative, laquelle aurait accepté des membres étrangers au métier, qui seraient peu à peu devenus majoritaires, amenant progressivement le passage de l’opératif au spéculatif, a été abandonnée depuis une vingtaine d’années par tous les chercheurs sérieux. Elle reste néanmoins encore très présente par la satisfaction intellectuelle qu’elle procure et dont maints auteurs prestigieux se sont bercés.

Son principal chantre Robert Freke GOULD (Histoire abrégée de la Franc-Maçonnerie) baptisa ce processus imaginaire du nom de « transition ». Il suivait en cela le mouvement initié par ANDERSON qui, à grand renfort de légendes et de contrevérités historiques, avait imposé la vision d’une organisation multi- séculaire, héritière légitime de la gloire des vieilles confréries et de tous les prestigieux bâtisseurs. Les propos d’ALAIN BERNHEIM montrent combien le montage artistique des Constitutions a eu d’impact et pas seulement à son époque : « La plupart des francs-maçons sont incapables de distinguer entre les faits et la fiction. La renaissance dont parle ANDERSON en l’appliquant à la création de 1717, ne doit nullement être comprise comme celle des bâtisseurs gothiques du Moyen Age, mais comme celle des quelques loges spéculatives anglaises du siècle précédent« .

Pour Guy VERVAL (A la recherche de JAKIN et BOAZ), les archives des chantiers anglais ne font aucune référence à des « secrets », comparables aux « mots de maçon » écossais.

« Hors les fêtes et banquets, communs à toutes les organisations de l’époque, on ne leur connaît aucune cérémonie spécifique qui puisse apparaître comme les équivalents ou ancêtres des cérémonies actuelles. Rien en effet ne permet d’avancer que leurs outils ou leur art aient servi de support à une réflexion symbolique de nature morale ou spirituelle. Ces ouvriers, frustres et illettrés, ne devaient guère se distinguer des autres artisans, charpentiers, tanneurs ou forgerons. Comme eux, ils participaient au climat religieux de leur époque, fait de dévotions sincères et de superstitions frileuses. Leur imputer un projet spirituel relève au mieux de la projection de nos propres fantasmes » .

Les Anciennes Constitutions auxquelles se réfère ANDERSON, sont toutes sauf deux postérieures à 1583 et donc ne relèvent pas des constructeurs médiévaux. Les deux exceptions sont le REGIUS (1390 ?) et le COOKE (1410 ?) contemporains de l’extrême fin du gothique.

VERVAL poursuit son examen : « Le ton du REGIUS est à la fois religieux et courtois, peu adapté donc au monde du travail. Le code de conduite qu’il propose convient mieux à des hommes et des femmes et de haute naissance… Le REGIUS se termine par de longs extraits d’une instruction aux prêtres paroissiaux, exhortant les maçons à être de fidèles serviteurs de l’Eglise, à assister régulièrement à la Messe et à s’adonner à la Prière. Le document, on le voit, n’a de maçonnique que la référence au métier. Son discours s’adresse à tous, artisans et seigneurs, dans un langage que seuls ces derniers pouvaient comprendre… Dans l’état actuel des connaissances, contentons-nous de souligner qu’il n’existe aucune preuve assurée que les « Anciens Devoirs » aient jamais été utilisés dans les loges opératives au 14e et au 15e siècle, a fortiori aux siècles précédents« .

Eric WARD (Naissance de la Franc-Maçonnerie) est le premier en 1978, à s’opposer à la théorie de la « transition ». En effet il met en doute l’existence même dans la maçonnerie opérative anglaise de signes, attouchements et mots secrets. Il récuse toute présence de loges opératives en Angleterre au 17e siècle et affirme que les loges qui commencèrent à apparaître à cette époque étaient dès leur origine indépendantes du métier de maçon. Concernant les loges Ecossaises au sein desquelles des membres non opératifs apparaissent, ceux-ci sont pris dans un cadre rigide qu’ils ne peuvent altérer.

En revanche les Maçons non opératifs anglais étaient eux dans un cadre qui leur permettait de moduler comme ils l’entendaient une société qu’ils avaient eux-mêmes créé. La reprise partielle et délibérée d’usages propres à la maçonnerie opérative, ne saurait être assimilée sans un profond contresens à une filiation directe. Les quelques loges opératives tardives connues en Angleterre sont en effet restées opératives jusqu’à leur disparition.

 » Lorsqu’on arrive à l’époque à laquelle il est possible de discerner des traces du rituel qui nous est aujourd’hui familier, on constate qu’il est en substance d’origine écossaise opérative et qu’il fut indiscutablement emprunté ».

En faisant état d’un emprunt extérieur, E.WARD va dans le sens de l’étude très complète sur la période de 1590 – 1710 en Ecosse, publié par David STEVENSON (Les origines de la Franc-Maçonnerie) qui voit le passage de l’opératif au spéculatif dans ce pays avant sa reprise par l’Angleterre. Si l’emprunt à l’Ecosse fait peu de doute à l’époque du pasteur Anderson, de souche écossaise et fils d’un membre éminent, premier Secrétaire de la loge d’Aberdeen, la réalité de la « transition » écossaise paraît discutable. D’après les renseignements que STEVENSON lui-même nous fournit, les « acceptés » sont très peu présents au sein des loges opératives et ne peuvent donc avoir eu une influence déterminante. Pour reprendre l’exemple de Robert Moray, il ressort que ce maçon « accepté », hautement considéré pour l’étendue de son érudition et très attaché à la maçonnerie et à sa marque de maçon, n’a tenu loge que deux fois dans sa vie, en 1641 puis en 1647. Force est également de constater que certaines loges opératives écossaises n’acceptent aucun personnage étranger au métier pendant plus de dix ans après quelques réceptions limitées, que les loges sont trop différentes les unes des autres et trop cloisonnées pour avoir pu initier un nouvel élan. Enfin un mouvement d’ensemble aboutissant à une telle évolution ne saurait être décelé dans un contexte où les loges se devaient de se réunir tous les quatre mois, règlement dont les procès- verbaux nous confient qu’il était trop ambitieux et que le plus grand nombre de loges ne se réunissaient qu’une fois l’an, le jour de la Saint-Jean, ajoutant même qu’à cette occasion, la participation était faible en dépit de l’obligation qui avait été faite aux membres d’y participer.

Sur l’Angleterre les conclusions de STEVENSON rejoignent celles des analystes contemporains : « Le fait que la plus part des Francs-Maçons anglais n’avaient aucun lien avec les métiers opératifs s’avéra important… ils étaient libres de remodeler la maçonnerie au gré de leurs désirs »

Cyril BATHAM, Passé Maître et Secrétaire de la Loge de recherche QUATUOR CORONATI de LONDRES (Les origines et l’évolution de la Franc-Maçonnerie VILLARD DE HONNECOURT N°1) confirme encore ce point de vue, en précisant :

« Les Gentlemen-Maçons qui, en aucun cas, n’étaient concernés par le métier de maçons opératifs, ont été admis dans les loges Ecossaises dès la fin du XVIe siècle, mais ils n’y exerçaient aucune forme de pouvoir et les loges gardaient leur caractère opératif ».

Poursuivant son analyse il indique :

« Nous ne devons pas penser que, du fait qu’il y avait des francs-maçons en 1717 et des maçons en 1390, ils étaient forcément membres de la même organisation, ou bien qu’il y ait eu une continuité, une connexion quelconque entre leurs organisations respectives… Chaque homme aime à penser que l’origine de sa famille remonte à plusieurs siècles, qu’il appartient à une fraternité tellement importante qu’elle a pu subsister depuis des centaines d’années, voire même depuis des temps immémoriaux… La Maçonnerie spéculative des maçons francs et acceptés est une organisation qui s’est étendue à travers le monde entier, mais qui n’a aucun rapport avec le métier de maçon… Nous savons que les maçons ont été forcés, sous peine de punitions sévères en cas de désobéissance, de rejoindre les lieux où les édifices devaient être érigés, très souvent à des distances considérables de leur foyer, qu’ils travaillaient pour des salaires dérisoires, et que le règlement de ces salaires était effectué avec des retards fréquents… Il n’y a aucune évidence que les maçons opératifs médiévaux Anglais aient jamais associé la morale à leurs instruments de travail, et qu’il y ait eu quoi que ce soit de spéculatif dans leurs cérémonies. De ce fait, il n’est pas raisonnable de penser que notre maçonnerie spéculative ait évolué de la sorte, pas plus que d’assurer, sans aucune preuve à l’appui, qu’elle émane de pratiques d’ouvriers pauvrement rémunérés, d’origine modeste et d’humble position sociale… Croyez- vous que des hommes de l’éducation, de la valeur intellectuelle du docteur DESAGULIERS, du docteur JAMES ANDERSON, d’ELIAS ASHMOLE et de beaucoup d’autres, auraient été tentés de rejoindre des maçons pour pratiquer des cérémonies entièrement consacrées à leur métier ?… Il est difficile d’imaginer que la franc-maçonnerie spéculative soit dérivée directement de la maçonnerie opérative, mais il serait parfaitement crédible et naturel qu’elle émane d’une fraternité religieuse ayant sa place dans un corps de métier; une fraternité qui aurait pratiqué des rites sacrés et des cérémonies pendant des siècles, et qui, éventuellement, apparaîtrait comme une version ancienne de notre maçonnerie symbolique actuelle. »

La piste ouverte par cette dernière réflexion amène à considérer la situation en Angleterre où en 1538 HENRI VIII, après avoir rompu quatre ans auparavant avec Rome, supprima les monastères et l’ensemble des confréries, qui constituaient autant de sources de sociabilité, d’entraide et de spiritualité. Leur disparition ne pouvait pas ne pas provoquer un grand vide et face à ce vide une éventuelle réaction visant à le combler et à sortir de l’engrenage de la violence. Au plus fort de la crise sociale que vit l’Angleterre et l’ensemble de l’Europe, de nombreuses sociétés secrètes se constituent…

D’où la conclusion d’Edmond MAZET dans le dictionnaire thématique de la franc- maçonnerie:

 » La maçonnerie spéculative est très probablement apparue en Angleterre dans la seconde moitié du 16e siècle. En même temps qu’elle a emprunté à la maçonnerie opérative la tradition des Old Charges, elle a certainement subi l’influence des conceptions philosophiques de l’époque…Les Old Charges constituent en un certain sens un lieu de continuité entre la maçonnerie opérative médiévale et la maçonnerie spéculative du 17ème siècle mais pas nécessairement a priori un lieu de continuité physique. Les manuscrits médiévaux ont été rédigés et recopiés dans des monastères… Après la dissolution des monastères par HENRI VIII, leurs bibliothèques ont été dispersées. La maçonnerie spéculative anglaise à fort bien pu être créé par des gens qui avaient acquis des manuscrits de Old Charges de cette façon ».

C’est également le sentiment de COLIN DYER (Réflexions sur les origines de la Maçonnerie spéculative 1982) qui note entre les deux manuscrits des Old Charges que nous avons déjà cités et leurs successeurs un vide de plus de 150 ans. À partir des années 1580, de nouvelles versions réapparaissent, or il n’existe plus de loges opératives anglaises susceptibles de s’en servir. Par ailleurs, nous savons que c’est l’instrument de travail essentiel des loges spéculatives anglaises. Le SLOANE servit certainement à la réception d’ELIAS ASHMOLE à Warrington en 1646, première trace officielle de la maçonnerie spéculative anglaise.

L’ensemble cohérent de ces faits tend à placer à la fin du XVIe siècle, les véritables origines de la maçonnerie spéculative. COLIN DYER conclut, à la suite d’une analyse comparative des anciennes et des nouvelles versions des Old Charges, que le manuscrit Grande Lodge N°1 daté de 1583 ne constitue pas une simple copie mais un document tout à fait nouveau, introduisant des règles morales et religieuses et supprimant les considérations purement opératives. L’orthographe utilisée pour les noms d’origine biblique suit l’usage des Bibles publiées en Angleterre après la réforme soit à partir de 1540. Un groupe de maçons spéculatifs aurait ainsi établi un texte nouveau avec une orientation nettement religieuse et ouvertement trinitaire. La mention de YORK, tout à fait nouvelle, pourrait correspondre au lieu d’origine du mouvement. La notion des « élèves d’Euclide », comme « fils de nobles personnages », pourrait indiquer le rang social des promoteurs.

Reste, si l’on accepte ces prémices très plausibles mais qui restent une conjecture, à définir l’évolution de cette maçonnerie spéculative jusqu’à 1717. Dans les années 1660 la paix religieuse et politique réalisée est de nature à transformer les aspects de la maçonnerie spéculative telle que nous avons pu l’évoquer. Edmond MAZET constate que les témoignages contemporains sur la maçonnerie non opérative anglaise du 17e siècle suggère plutôt une maçonnerie en forme de club à caractère social et convivial. Et il conclut :

« Il semble donc que la Grande Loge, ou ses têtes pensantes comme Désaguliers, ont délibérément voulu, sans renouveler le contenu secret de la maçonnerie, mettre fin du moins au secret dans lequel elle s’était efforcée jusque-là d’envelopper son existence et d’en faire une société reconnue, ayant pignon sur rue et une place honorable dans la société ».

C’est en effet cette sortie de l’ombre qui caractérise le mieux l’action des fondateurs de la Grande Loge de Londres et explique la volonté de rechercher dans un passé lointain un prestige que les temps proches ne leur apportaient pas.

Pour Roger DACHEZ (Cahiers de Renaissance Traditionnelle) :

 » Les maçons spéculatifs Anglais du 17e siècle semblent rares, dispersés, presque anecdotiques. On a le sentiment de rencontrer des maçons qui n’ont pas le mode d’emploi de la maçonnerie… Les maçons spéculatifs Anglais du 17e siècle étaient des maçons sans loge et presque sans maçonnerie ».

Le réveil du début du 18ème Siècle fut en revanche animé et bon nombre d’auteurs signalent une influence hermétique s’exerçant de 1720 à 1730. Comme ANDERSON qui n’était pas présent à la création de la Grande Loge de 1717 et dont la participation n’est attestée qu’à compter de 1721,nombreux sont ceux qui, face à l’attrait puissant provoqué par le développement de la Maçonnerie Moderne, tentent d’orienter ce jeune corps, au succès aussi foudroyant qu’inattendu de la part de ses fondateurs, dans le sens de leurs aspirations intellectuelles et philosophiques. Face à cette large expression du courant intellectuel que l’on peut appeler de la « post-renaissance », qui annonce la suite du 18e siècle avec ses lumières et ses illuminés, avec son attrait pour les arts, les sciences, la tolérance et la convivialité, il convenait de contenir son exubérance au sein de cette jeune maçonnerie anglaise des Modernes. Ce fut la tâche assumée par le Révérend Jean Théophile DESAGULIERS, troisième Grand Maître de la Grande Loge de Londres en 1719 et représentatif de ce courant intellectuel au sein duquel qu’il opéra une canalisation, sans en exclure tous les apports, nécessaires à maintenir l’attrait puissant vis à vis des loges qui suivi rapidement l’acte fondateur de 1717. Cette rapide progression ressort des chiffres en notre possession : 1723, 30 loges autour de la Grande Loge de Londres. 1750, 270 loges.

L’introduction du grade de Maître Maçon fait partie de ces évolutions puisqu’en 1723, date de la première édition des constitutions, seuls les grades d’apprenti entré et de compagnon du métier apparaissent, probablement complété par un secret spécifique confié au Maître de la loge, lors au moins de la consécration de cette loge et de la première installation. En revanche la deuxième édition des constitutions en date de 1738 confirme l’existence complémentaire du 3e grade de Maître Maçon.

Que s’est il passé durant cette courte période charnière ? Pour GUY VERVAL « Dès 1730, le Temple de Salomon était devenu l’objet essentiel des grades bleus et le meurtre de son architecte, le mythe central du 3e grade. Pourtant, dans la Bible, HIRAM ABIF n’est pas l’architecte du Temple, mais seulement un fondeur de métaux, envoyé à Salomon par HIRAM, le roi de Tyr… »

La légende inventée, sans doute vers 1720 – 1725 ne repose sur aucune évidence biblique et on comprend que les « vieux maçons » se soient élevés contre cette « fabrication ». Cette évolution des textes suggère que la légende d’HIRAM s’est imposée en deux temps :

1- HIRAM ABIF, le fondeur biblique, devient l’architecte du Temple et remplace l’AYMON ou AYNON des anciennes Constitutions.

2- La légende de sa mort est imaginée peu avant 1725, son élaboration est achevée en 1730 et sa prééminence reconnue en 1738. »

La reconstitution, plus détaillée encore, effectuée par Roger DACHEZ dans les Cahiers de Renaissance Traditionnelle, comprend les étapes suivantes.  Au XVIIe siècle les réceptions ne comprenaient pas deux grades distincts mais un seul, par lequel le récipiendaire devenait « FELLOW », dont la traduction ne doit pas être « Compagnon » mais « Membre », suivant les usages courants des clubs et associations anglaises, vis à vis des titulaires. C’est ainsi qu’ELIAS ASHMOLE, en octobre 1646 fut fait franc-maçon et pouvait se déclarer en 1682 lors d’une réunion, le plus ancien « FELLOW » présent. A ses débuts la Grande Loge de Londres pratiquait deux grades transmis dans une seule cérémonie et récupérés des usages opératifs écossais issus des statuts SCHAW : l’Apprenti entré, c’est-à-dire admis en loge après plusieurs années d’apprentissage et équivalant donc au compagnon et le « Fellow kraft », Compagnon du métier, libre d’employer des apprentis et reconnu comme Maître par rapport à la loge.

Le principe du développement d’un troisième grade semble lui venir d’Irlande où en 1711 son existence est attestée dans le manuscrit Trinity College de Dublin :

‘’Qu’est-ce qui fait une loge complète et parfaite ? – Trois Maîtres, trois Compagnons du métier et trois Apprentis entrés.’’

Reste à définir l’origine des éléments composant ce troisième grade. Les plus anciens manuscrits REGIUS et COOKE, ne font pas allusion à HIRAM ni à l’architecte du Temple de Salomon. C’est dans le manuscrit Grande Loge N°1 que cette notion apparaît pour la première fois avec, sous le nom de ANYONE, l’architecte du Temple, fils du roi HIRAM et Maître en Géométrie. Son nom varie ensuite dans les manuscrits, AYNON, AYMON, AMON. Le nom d’AMON (phonétiquement identique à AYMON en anglais) apparaît dans la Bible et signifie en hébreu : artisan, artiste, architecte, maître d’ouvrage.

Or une légende des fils AYMON, remontant à la tradition orale du 9e siècle, recueillie par les moines et fixée sous forme littéraire au 12e siècle avant d’être largement popularisée dans l’ensemble de l’Europe jusqu’au 16ème Siècle, traite du plus jeune fils, Renaud, qui après une vie errante remplie de combats et à la suite d’un pèlerinage effectué à Jérusalem, abandonne sa vie guerrière et s’engage comme maçon sur le chantier de la cathédrale de Cologne. Remarqué et jalousé pour sa sagesse et sa force, il est assommé à l’aide de maillets par des ouvriers du chantier qui le jettent dans le Rhin. S’apercevant de son absence le maître du chantier s’en inquiète et brusquement voit surgir du fleuve un gigantesque poisson qui soulève hors de l’eau le corps d’AYMON, resplendissant de lumière, entouré de trois chandelles et d’anges qui entament un chant céleste. Son corps retiré de l’eau est ramené à l’église. Les assassins sont confondus. Il devint le patron des tailleurs de pierres et des sculpteurs comme les » Quatre Couronnés ».

Dans la Bible, HIRAM n’apparaît qu’au Livre des Rois. Il est bronzier et non architecte et aucune référence à sa mort et aux éléments constitutifs de la légende d’HIRAM n’apparaît. HURAM ABI apparaît également dans la Bible comme artisan qui travaille la pierre, les métaux et le bois. Là non plus pas d’architecte et aucun élément relatif à son sort.

En 1726, avec le manuscrit GRAHAM, apparaît le dernier des éléments constitutifs d’une mosaïque d’où semble surgir le troisième grade : Les trois fils de NOE découvrent le cadavre déjà pourri de leur père et saisissent un doigt qui se détache. Ils redressent le cadavre et le soutiennent en se plaçant pieds contre pieds, genou contre genou, poitrine contre poitrine, main dans le dos. Conclusion de Roger DACHEZ : « Ces divers éléments nous apparaissent encore comme autant d’arguments supplémentaires pour supposer une mise en forme finale de la légende, à partir d’éléments divers, certains empruntés à la tradition de métier et d’autres résultants d’une élaboration savante, par un cénacle d’érudits, fort imprégnés de Bible apparemment, dans les premières années du 18e siècle.

Le pamphlet de Samuel BRISCOE, publié en 1724 à Londres, mettant en cause l’imagination « des savants Docteurs » que sont le pasteur ANDERSON « qui a commis un grand nombre d’erreurs dans son histoire du métier » et « le très ingénieux Docteur DESAGULIERS », désigne les artisans de la synthèse du troisième grade.

Autre publication, le dialogue entre Simon et Philippe de 1725 attribue la nouvelle forme de la loge en carré « à la représentation de la tombe de notre Grand Maître HIRAM », et attribue cette innovation au Docteur DESAGULIERS. Le grade de Maître se synthétise donc en Angleterre dans une symbolique différente de celle des deux premiers grades vers 1725, en 1733 se forment à Londres des loges de Maîtres pour pratiquer ce 3e grade, en 1753 la Grande Loge interdit aux loges de conférer le même jour le premier et le troisième grade, montrant par là même la liaison entre les deux premiers qui restent joints et la séparation du troisième dont on peut justement se demander s’il n’est pas le prémisse historique de la prochaine explosion des Hauts Grades, particulièrement en France.

Confrontés dès 1724, à des pamphlets, en 1726 à l’opposition des maçons « antédiluviens » qui les mettaient en cause pour leurs innovations, puis à la création d’une Grande Loge rivale des « Anciens » qui prétendait rétablir les seuls vrais usages, les « Modernes » qui avaient lancé le mouvement et qui le voyaient déferler sur l’Europe entière, durent en freiner l’ébullition anglaise, en la contenant dans une aimable sociabilité emprunte de culture, de générosité et de convivialité.

Le témoin, passé en France dès 1725, amena la poursuite du développement de la franc- maçonnerie moderne, sur un registre au demeurant beaucoup plus ésotérique. Phénomène qui permet à Roger DACHEZ cette réflexion que nous reprendrons avec l’analyse d’autres textes fondamentaux :

 » Quoi qu’il en soit des origines lointaines de la maçonnerie spéculative anglaise, on ne peut oublier l’aspect majeur de « club » essentiellement convivial qui ressort des textes de 1723… Ce n’est guère avant la fin du XVIIIe siècle qu’on trouvera les textes fondamentaux du symbolisme maçonnique en Angleterre… Sur le continent, notamment en France, elle s’était rapidement orientée vers la spéculation symbolique… Si l’origine de la maçonnerie non opérative est anglaise, celle de la maçonnerie proprement spéculative ne serait-elle pas, au moins autant, française ? ».

Cette présentation de l’émergence de la Franc-Maçonnerie moderne paraîtra éloignée de l’idée de Tradition à laquelle elle se réfère constamment. Mais où peut se trouver la référence à la tradition, s’il n’y a pas, comme nous avons entrepris de l’évoquer, continuité entre maçonnerie opérative et maçonnerie spéculative ? Nous tenterons d’apporter des éléments de réponse, en commentant les textes relatifs à l’évolution française qui suivit. Ce premier commentaire ayant pour but premier de revenir sur l’idée trop souvent répandue d’une tradition ancestrale parfaitement délimitée et quasiment linéaire…

Laissons pour finir sur ces prémices anglais la conclusion à GUY VERVAL :

« Il n’y avait pas à respecter une tradition, mais bien à la construire et la peaufiner pour les générations futures. Et une œuvre comme celle-là ne peut se bâtir qu’à tâtons car toujours surgissent des difficultés inattendues, des problèmes négligés, des questions insoupçonnées. De tels obstacles demandent souplesse, imagination et audace. Nos pionniers n’en manquaient pas si on en juge par les résultats! « 

Poursuivant au sujet des « Vieux Maçons » qui ne comprenaient pas le processus et s’élevaient contre les innovations, il conclut son raisonnement :

« Leur opposition démontre par l’absurde le caractère résolument novateur des initiatives de l’époque et souligne si besoin est, que la Maçonnerie pré-andersonnienne ne contenait aucun projet d’ordre spirituel. Mais cette Franc-Maçonnerie balbutiante ne pouvait subsister sans développements nouveaux ».