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Les premières loges françaises

   Kiosque littéraire Rite Ecossais Primitif   

 Revue

HISTORIA Thématique n° 93 – janv./fév. 2005

Les origines et l’action des loges

 Dossier  La véritable influence des Francs-Maçons par Sabrina Juillet
 Extrait …..Chapitre « Les origines » Les premières loges françaises

L’auteur : Enseignante, Sabrina Juillet est chargée de cours à l’Université de Versailles-Saint-Quentin.

Les premières loges françaises : une invention d’outre-Manche (page 16)

En 1689, Jacques II, souverain britannique, s’exile en France à la suite de la Révolution Glorieuse. Avec ses officiers, pour la plupart francs-maçons, il s’installe à Saint-Germain-en-Laye. Les premières loges de rite écossais s’ouvrent en France.  L’historien écossais David Stevenson attribue à l’Ecosse le privilège d’avoir accueilli les premières loges maçonniques spéculatives. En 1583, le roi Jacques VI d’Ecosse, futur roi d’Angleterre (1603) sous le nom de Jacques Ier Stuart nomme William Shaw maître d’œuvre des travaux et surveillant général des maçons d’Ecosse. Shaw obtient ainsi l’aval implicite du roi pour fonder la première loge officielle de franc-maçonnerie d’Europe, aux premières formes spéculatives.

En effet, le roi Jacques apprécie les idées de tolérance religieuse et d’universalité propre aux francs-maçons. Il espère ainsi rallier une partie de la population à ses rêves d’Eglise universelle pour lesquels il se bat dans son royaume et sur le continent européen. A la fin du XVIe siècle, l’Ecosse compte trois grandes loges à Edimbourg, Kilwinning et Stirling. Tout au long du XVIIe siècle, de nombreuses loges spéculatives fleurissent ainsi dans le pays. L’Angleterre intègre ses premières loges beaucoup plus tardivement, bien que Jacques Ier Stuart ait tenté d’imposer en vain ses idées dans son nouveau royaume. Il faut attendre les années 1640 pour entendre parler d’initiés anglais. En effet, c’est durant ces années que le pays connaît une guerre civile opposant Charles Ier Stuart, attiré par le catholicisme, à son parlement à majorité protestante. Le parlement de Westminster, en charge des affaires ecclésiastiques à la place du roi, fait appel aux Ecossais qui, forts de leur réforme religieuse et décidés à la promouvoir en Angleterre, n’hésitent pas à répondre à la demande et à envoyer une armée combattre aux côtés des parlementaires. Le roi est tenu pour responsable de cette guerre civile, idée véhiculée surtout par la nouvelle armée parlementaire qui accumule alors les victoires et renforce ainsi son influence. Parmi ces soldats écossais se trouvent de nombreux maçons qui ne tardent pas à initier les hommes en armes et les parlementaires anglais. Tel Elias Ashmole qui écrit ainsi dans son journal avoir été initié le 16 octobre 1646 à 16 h. 30. Ces nouveaux initiés anglais utiliseront les principes fondateurs francs-maçons, principalement pour renforcer le mouvement naissant en faveur de la tolérance religieuse.

Le but est alors de ramener la paix civile et de reconstruire l’harmonie sur l’île. La première loge anglaise est créée à Warrington en 1646. D’autres loges vont suivre, à une différence près avec l’Ecosse qu’elles n’acceptent que des membres non opératifs, majoritairement des nobles ou des bourgeois aisés. C’est en Angleterre que naît véritablement la franc-maçonnerie exclusivement spéculative. Le statut social de ses membres lui donne une influence sans précédent tant en politique, qu’en religion. Les loges maçonniques deviennent ainsi de véritables leviers politiques.

Après l’exécution de Charles Ier Stuart en 1649, lui succèdent ses deux fils, Charles II (1630-1685) puis Jacques II (1633-1701). Ce dernier, catholique converti, est détrôné par son gendre Guillaume d’Orange lors de la Révolution Glorieuse de 1688-1689.  Déchu, Jacques II s’exile en France, où il est reçu et hébergé par Louis XIV au château de Saint-Germain-en-Laye.

Il est rapidement rejoint par un grand nombre de ses partisans, appelés jacobites, majoritairement écossais, catholiques et francs-maçons. Il recrée une cour qui sera désormais le centre des intrigues britanniques. Les jacobites s’installent aussi à Saint-Germain-en-Laye et à Paris où ils font circuler les idées maçonniques. C’est ainsi que la franc-maçonnerie traverse la Manche dans le sillage des Stuarts exilés. Ils ne tardent pas à créer des loges.

La loge de Saint-Germain-en-Laye ouvre officiellement au printemps 1689. Elle n’est composée que de membres spéculatifs, souvent des soldats écossais et irlandais. David Nairne en fait partie. Il est à l’origine de l’intérêt des Français pour les loges écossaises, grâce au journal qu’il tient sur la vie des Stuarts durant les premières années d’exil. La présence des jacobites en France est très bien acceptée et ce pour diverses raisons : Jacques II est le fils d’une fille de France – Henriette Marie, fille d’Henri IV et sœur de Louis XIII –, il est catholique et est entouré d’une cour majoritairement écossaise et irlandaise, pays traditionnellement liés à la France lors des nombreux conflits contre l’Angleterre à travers les siècles. La cause jacobite est ainsi largement soutenue, surtout par les princes français qui ne tardent pas à venir assister aux séances maçonniques tant à Saint-Germain-en-Laye qu’à Paris. Cette tendance s’accentue avec les vagues d’arrivées massives d’Ecossais en 1715 et 1746, après les échecs des jacobites dans leurs tentatives d’aider la dynastie Stuart à recouvrir son trône.

La franc-maçonnerie écossaise devient un bastion jacobite tant en Angleterre qu’en France. En 1714, la couronne britannique échoit aux protestants avec l’Electeur de Hanovre qui devient roi sous le nom de George Ier de Grande- Bretagne. Dès lors les loges jacobites créées par des catholiques ne vont pas tarder à s’opposer aux loges hanovriennes fondées par les protestants.

La naissance de la Grande Loge de Londres en 1717 est le résultat de ces conflits. Les loges anglaises se sont énormément développées, mais elles choquent par leur côté déiste – respect d’une morale naturelle et tolérante vis-à-vis de toutes les religions. Elles se distinguent ainsi de plus en plus des loges écossaises, plus traditionnelles et attachées à un idéal maçonnique intégrant une grande rigueur religieuse. La Grande Loge de Londres – spéculative – naît le 24 juin 1717. Elle se veut mère de toutes celles qui naîtront en Europe, mais doit faire face à l’augmentation des loges jacobites. Les principes du rite établi de cette loge sont publiés par James Anderson en 1723, sous le nom des Constitutions. Néanmoins, son influence reste limitée à Londres et à Westminster, les autres loges tenant à leur indépendance – ainsi la Loge d’York se déclarera-t-elle ‘‘Grande Loge de Toute l’Angleterre’’ en 1753. Réformiste, la Grande Loge est le fruit de la politique hanovrienne.

A son tour, Jacques III, fils de Jacques II, tente d’agir contre les Hanovres en demandant au pape Clément XII de faire pression sur la Grande Loge londonienne. Cette manœuvre a pour but de limiter l’influence doctrinale de celle-ci, d’une part, et, d’autre part, de permettre aux loges écossaises, majoritairement catholiques, de se développer. Le catholicisme de ces loges est un statut indéniable dans leur établissement en France. Les loges progressistes anglaises, qui prônent la tolérance et la diversité religieuse, ont beaucoup plus de mal à s’implanter dans ce royaume Très Chrétien. C’est le duc de Montagu, Grand Maître de la Grande Loge de Londres, qui entreprend d’introduire le modèle spéculatif anglais en France. Dans les années 1720, des loges s’établissent dans le sillage de la prestigieuse loge anglaise ‘‘Amitié et Fraternité’’ de Dunkerque. Elle a pour ambition de concurrencer les loges écossaises toutes établies à Paris. L’opposition doctrinale entre loges anglaises et loges écossaises – loges ‘‘modernes’’ et loges ‘‘anciennes’’ – se fait de plus en plus sentir. Elle est due à une lutte des loges écossaises pour gagner leur indépendance à l’égard de la Grande Loge de Londres. Les loges écossaises se basent sur le Rite Ancien et Accepté calqué sur celui autorisé autrefois par le roi Jacques VI d’Ecosse, c’est-à-dire qu’il met en valeur l’aspect spéculatif et religieux de la pensée maçonnique. Cette division au sein de la franc-maçonnerie est visible surtout en France où les loges se côtoient, contrairement à la Grande-Bretagne où les loges écossaises, concentrées en Ecosse, ne font qu’influencer quelques loges d’Angleterre. Cette distinction est le résultat d’ambiguïtés politiques : le duc de Wharton, Grand Maître de la Loge londonienne, mais jacobite dans l’âme, récemment converti au catholicisme, est ainsi forcé de quitter Londres pour Paris rejoindre les jacobites. C’est précisément à partir de ce moment que la Grande Loge de Londres devient entièrement hanovrienne, ce qui ne fait qu’accroître l’inquiétude des loges écossaises en France. Wharton en est conscient et agit contre la Grande Loge de Londres en fondant une loge en France. C’est ainsi qu’en 1726 naît à Paris ce qui deviendra la Grande Loge de France, portant le nom de son patron, Saint-Thomas, rue des Boucheries, à l’auberge le ‘‘Louis d’Argent’’. Wharton en est le Grand Maître et la plupart de ses membres sont d’anciens jacobites exilés, mais ils sont désormais accompagnés de Français, issus de la noblesse pour la plupart. Or cette loge n’est pas encore spécifiquement française, car elle reçoit ses autorisations de la loge de Londres le 3 avril 1732. En effet, les loges françaises doivent demander une licence à la Grande Loge de Londres si elles veulent exister légalement. Cette Loge ne devient officiellement Grande Loge de France qu’à la date du 24 juin 1738, lorsque le comte de Darwentwater, Charles Radcliffe, abandonne la grande maîtrise pour retourner en Grande-Bretagne et reprendre la lutte contre les Hanovres.

C’est alors le duc d’Antin et d’Epernon qui lui succède et devient ‘‘Grand Maître Général et Perpétuel des Maçons dans le Royaume de France’’. La même année, la Grande Loge de Londres devient Grande Loge d’Angleterre. Laquelle n’a pas été consultée par la Grande Loge de France qui marque ainsi son indépendance définitive vis-à-vis des loges d’Angleterre. Elle attendra 1755 pour affirmer son catholicisme et son attachement au rite écossais ancien.

ANDERSON ÉDICTE DES STATUTS

Dès sa création, la Grande Loge de Londres doit faire face à l’influence grandissante des loges écossaises, tant est qu’il devient rapidement nécessaire de les distinguer et de définir leurs principes de fonctionnement pour mieux marquer leurs spécificités. Le 24 juin 1717, le Grand Maître Payne présente à la Grande Loge un manuscrit du XVe siècle datant de l’époque des cathédrales. Il souhaite qu’un règlement soit rédigé à partir des principes énumérés dans le manuscrit en mettant en évidence des rites anciens. Payne demande ensuite que chaque maçon apporte à la loge toutes les archives concernant la maçonnerie. L’Ecossais James Anderson, pasteur de l’Eglise presbytérienne écossaise prend en charge la rédaction du règlement, espérant que cela le remette financièrement à flot après la faillite de la Compagnie des Mers du Sud. Il est motivé dans son entreprise par Wharton et le duc de Montagu, Grand Maître depuis 1721. Ce n’est finalement qu’en 1723 qu’Anderson actualise et rédige les constitutions gothiques trouvées dans les divers manuscrits mis à sa disposition avec l’aide de Jean Théophile Desaguliers. Une fois terminé, le règlement accompagné d’un historique de la franc-maçonnerie, prend le nom de Constitutions rappelant ses origines. Elles sont le fondement de la franc-maçonnerie anglaise et précisent entre autres les règles et la conduite auxquelles doivent se tenir les francs-maçons.