Kiosque littéraire Rite Ecossais Primitif |
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Ouvrage | Les origines religieuses et corporatives de la Franc-Maçonnerie | |
Auteur | Paul Naudon | |
Edition | …..Dervy Livres, Quatrième édition, mars 1979 | |
Extraits | …..Chapitre V et Chapitre VI |
Chap. V – La naissance de la maçonnerie spéculative
[…] Les loges écossaises ont précédé les Loges d’Angleterre. Nous savons déjà que, depuis 1439, les Loges d’Ecosse avaient un grand maître héréditaire en la personne des seigneurs Sinclair de Roslin. ‘‘Sous le règne de Jacques V (1513-1542), époux de Marie de Lorraine et père de Marie Stuart, le souffle des temps nouveaux impressionnait la haute société écossaise. Le roi était un humaniste fervent, admirateur des idées et des chefs-d’œuvre de la Renaissance. Fut-ce à son instigation ? Toujours est-il que le seigneur Sinclair d’alors résolut de se rendre en Italie. Il en revint enthousiasmé et immédiatement décida de confier à des artistes italiens la construction d’une chapelle dans son domaine de Roslin. … Non content de bâtir une chapelle, Sinclair fit venir d’autres maçons italiens, les unit aux maçons écossais, puis les organisa en confrérie et leur octroya une charte. Dès lors, sous la protection du roi, cette confrérie prit un très grand essor.’’ C’est de cette époque, semble-t-il, qu’il faut faire remonter la transformation de l’ancienne Maçonnerie opérative. Elle reçut alors, par la transfusion d’un sang nouveau, une impulsion qui se traduisit sur le plan culturel et artistique. Par la suite les Stuarts donnèrent à la Maçonnerie une nouvelle orientation spéculative, cette fois dans un sens religieux et politique. La première trace historique d’un maçon non opératif, et autre qu’un protecteur puissant ou un clerc, nous est donnée par le procès-verbal d’une tenue de la Loge Mary’s Chapel d’Edimbourg, daté du 8 juin 1600. Ce maçon ‘‘accepté’’ se nommait John Bosnell d’Auchinlek ; mais il est certain qu’il n’était pas le premier. Le 20 mai 1641, les membres de cette même loge d’Edimbourg, se trouvant à Newcastle avec l’armée écossaise, admettent comme maçon accepté l’honorable Robert Moray, quartier-maître général de l’armée écossaise. […]
Les influences politiques et religieuses (page 273)
… En Angleterre, lorsque la lutte s’engagea entre la royauté des Stuarts et le Parlement, et plus tard entre les Stuarts et la maison d’Orange ou celle de Hanovre, les partis politiques durent grouper autour d’eux les corporations. Il semble que les Stuarts, depuis Jacques Ier jusqu’à Charles III, usèrent de ces moyens, tout au moins à l’égard des Francs-Maçons. Il est certain aussi qu’ils copièrent l’organisation maçonnique pour l’introduire dans les régiments et en faire des partis politiques. En 1689, nous verrons les régiments écossais et irlandais débarquer en France, avec leur cadre militaire et leur cadre maçonnique. Les premiers étaient les agents exécutifs et les seconds le pouvoir directeur. Quand Jacques II fut détrôné en 1688, le maître de la corporation des Maçons de Londres était Christopher Wren. Wren, qui était jacobite – et Rose-Croix – continua cependant à occuper ses fonctions jusqu’en 1695, date à laquelle il fut remplacé par Charles Lennox, duc de Richmond, maître de la Loge de Chichester, fils adultérin de Charles II et de Louise de Kéroualle, duchesse de Portsmouth. La Franc-Maçonnerie demeurait donc de tradition jacobite. En 1698, Wren était de nouveau nommé maître et occupa ces fonctions jusqu’en 1702. A l’avènement de la reine Anne, il fut destitué de ses fonctions d’architecte de Saint-Paul. Il se démit alors de la ‘‘grande’’ maîtrise. La Franc-Maçonnerie était encore à ce point jacobite que les maçons refusèrent de continuer, sous les ordres de William Benson, inspecteur des bâtiments de la reine, les travaux de construction de la cathédrale qui ne fut achevée qu’en 1710. Une autre preuve que la Franc-Maçonnerie demeurait catholique sous la monarchie protestante de Guillaume d’Orange se trouve dans la charte déjà citée de 1693 de la Loge d’York. Ce texte reproduit celui des anciennes chartes et statuts et il maintient certaines prescriptions significatives. Nous y lisons que ‘‘le premier article de vos Instructions est que vous serez fidèles à Dieu et à la Sainte Eglise, au Prince, à son Maître et à la Dame qu’il servira’’. Les mêmes dispositions se retrouvent dans les statuts datant de 1704. On a objecté que ce terme ‘‘Sainte Eglise’’ n’était nullement probant, son maintien pouvant, à l’époque, aussi bien concerner l’église anglicane officielle. Nous ne le pensons pas…
Il est de fait que les orangistes essayèrent de leur côté de se servir des loges maçonniques et de modifier leur tradition catholique. Il paraît établi que Guillaume III d’Orange fut initié en 1694, ou mieux que certaines loges de Maçons anglais se mirent à cette époque sous sa protection, et qu’en cette qualité, il présida plusieurs fois des assemblées à Hampton Court. Cette Maçonnerie publia de nouveaux statuts en 1694. L’article Ier est rédigé en ces termes ‘‘Votre premier devoir est d’être fidèles à Dieu, et d’éviter toutes les hérésies qui le méconnaissent.’’ Cette Maçonnerie, inféodée au protestantisme de Guillaume d’Orange, biffait simplement la ‘‘Sainte Eglise’’… Aussi, les Orangistes jugèrent-ils préférable de supprimer un dangereux motif d’attachement à une tradition catholique. Ces statuts, dans leurs variantes et leur opposition, continuaient à s’appliquer, semble-t-il, en 1717, lors de la constitution de la Grande Loge de Londres. Ils furent considérablement modifiés et augmentés en 1723 par les pasteurs Anderson et Desaguliers. […] C’était, sous l’obligation du simple déisme de la religion naturelle, une proclamation de tolérance qui mettait fin à toute ambiguïté et opposition religieuse fondée sur le maintien et l’interprétation d’une tradition. En fait, écrit A. Lantoine : ‘‘L’opinion générale est que les fondateurs de la Franc-Maçonnerie ont voulu créer un lien d’union entre les deux cultes… La nôtre est qu’ils voulurent trouver un terrain neutre en attendant de pouvoir y faire prédominer l’influence protestante.’’ […]
Pour autant que le principe de tolérance évoqué en 1723 n’ait été à l’origine qu’un pur calcul politique, il n’en rejoignait pas moins une semblable préoccupation des Stuarts qui apparemment se faisaient aussi les champions de la tolérance. En 1693, Jacques II exilé, ne promulgua-t-il pas une solennelle Déclaration de Tolérance ? Quand tout espoir de restauration monarchique se sera évanoui pour les Stuarts et que les divisions politiques auront cessé, l’idée de tolérance prendra toute sa valeur. Il n’en est pas moins vrai que, durant le XVIIIe siècle, allaient subsister parallèlement deux Franc-Maçonneries : une ‘‘moderne’’ de source anglaise et protestante, puis d’évolution rationaliste, et une ‘‘ancienne’’, ‘‘écossaise’’ développée en Hollande, en Allemagne et surtout en France, demeurant fidèle, au travers de la religion catholique, à l’ésotérisme chrétien et accueillante aux formes diverses du mysticisme. C’est en France précisément que nous allons voir se dérouler une grande partie des événements qui conduiront à la création de la Franc-Maçonnerie spéculative moderne. En même temps que la Franc-Maçonnerie spéculative se développait sous l’effet d’influences philosophiques, religieuses et politiques, la corporation des maçons professionnels mourait lentement. […]
Chap. VI – L’introduction de la Franc-Maçonnerie spéculative en France
La Maçonnerie stuartiste (page 280)
En 1649, après la décapitation de Charles Ier, sa veuve Henriette de France, fille de Henri IV et de Marie de Médicis, accepte de Louis XIV le royal refuge du château de Saint-Germain-en-Laye. Elle y est bientôt rejointe par de nombreux membres de la noblesse écossaise. « Sans tarder, ces derniers organisent une action anticromwellienne en vue de favoriser la restauration du prince héritier Charles II. Mais pour se garder des Anglais étrangers ou hostiles à leur parti, et pour dépister la police de Cromwell, ils agissent sous le couvert des loges maçonniques dont ils sont membres honoraires. A l’abri de leur secret, dit professionnel, ils peuvent ainsi, sans trop de périls d’indiscrétion, communiquer avec ceux de leurs frères qui sont restés en Grande-Bretagne et, de concert avec eux, comploter le renversement du ‘‘dictateur’’. » …
En 1661, Charles II, à la veille de monter sur le trône d’Angleterre, forme à Saint-Germain un régiment sous le titre de Royal Irlandais, puis Gardes Irlandaises. Ce régiment suivit la fortune des Stuarts. Compris dans la capitulation de Limerick, il débarqua à Brest le 9 octobre 1689, sous les ordres du colonel lord William Dorrington. Jusqu’en 1698, il tint garnison à Saint-Germain, en dehors des cadres français, bien qu’entretenu par Louis XIV. Le 27 février 1698, il fut incorporé dans l’armée française, sous le nom de son colonel, qui était toujours lord Dorrington. Ce régiment de Gardes Irlandaises semble avoir eu la plus ancienne loge reconnue par le Grand Orient de France. En effet, le 13 mars 1777, le Grand Orient admit que sa constitution primitive datait du 25 mars 1688. Comment fut-elle installée à l’origine et de quelle puissance maçonnique tenait-elle ses pouvoirs ? Elle ne figure évidemment sur aucune des listes de loges reconnues par la Grande Loge d’Angleterre, et tout porte à croire qu’elle fut formée par la réunion de plusieurs frères, initiés antérieurement, qui constituèrent la loge de leur propre autorité. Cette création était parfaitement régulière à une époque où les Francs-Maçons pouvaient librement constituer des loges sans avoir à répondre de leurs actes à une autorité suprême. Certes, cette loge devait être affiliée à une mère-loge écossaise, telle Kilwinning, et pratiquer son rite, mais nous savons que le rôle des ‘‘mères-loges’’ ou ‘‘vieilles-loges’’ n’était nullement comparable à celui que joueront plus tard les ‘‘grandes loges’’. Il est probable aussi que cette loge écossaise de Saint-Germain n’avait pas à l’origine de titre distinctif et qu’elle portait le nom de son colonel. A partir de 1752, on relève le nom de Parfaite Egalité, mais il est possible qu’elle l’ait porté antérieurement.
Cette loge de Saint-Germain est la seule du XVIIe siècle dont la trace nous est parvenue ; mais il est à penser que les Ecossais et Irlandais avaient fondé d’autres loges en France, notamment au sein d’un second régiment fondé à Saint-Germain avec des émigrés Irlandais et Ecossais. En revanche, on est un peu mieux renseigné sur les loges écossaises et stuartistes fondées au début du XVIIIe siècle. Malheureusement, comme leur apparition est concomitante avec celles de loges ‘‘anglaises’’ créées sous l’égide de la Grande Loge de Londres, on n’a pas toujours remarqué leur particularisme, ni le fait que, jusqu’en 1738, date où le duc d’Antin fut nommé Grand Maître de l’Ordre maçonnique en France, il y eut, dans notre pays, deux catégories de loges : les loges écossaises et les loges anglaises. Ces dernières dépendaient de la Grande Loge de Londres dont elles étaient des émanations. Quant aux premières, elles continuaient à vivre et à essaimer suivant les rites traditionnels de la Franc-Maçonnerie. Parmi ces loges écossaises, il faut citer notamment la fameuse Loge de Saint-Thomas, ainsi dénommée en souvenir de saint Thomas de Canterbury, le saint vénéré de l’Angleterre des Stuarts. Cette loge fut créée en 1726 par un stuartiste célèbre, lord Derwentwater.
Comme loge écossaise, on peut mentionner aussi la non moins fameuse Loge d’Aubigny, installée le 12 août 1735 dans le château de ce nom, appartenant au duc de Richmond, de Lennox et d’Aubigny, qui venait d’en hériter de son aïeule, Louise de Keroualle, duchesse de Portsmouth, décédée à l’âge de quatre-vingt-cinq ans. Louise Renée de Penancoët de Keroualle avait été dans sa jeunesse la plus belle fille de France. Pour servir le roi, Louis XIV, avec les seules armes qu’elle possédait, la beauté et le goût de l’intrigue, elle était partie à la cour de Londres où elle devint la maîtresse de Charles II qui la fit duchesse de Portsmouth. Dans ses vieux jours, son catholicisme était devenu une profonde bigoterie. Repentante de ses erreurs passées, elle ornait les églises de ses terres des offrandes de sa piété et installait déjà dans son château un couvent de religieuses hospitalières. Mais, son génie de l’intrigue ne l’avait pas quittée. Bien que demeurée fervente stuartiste, elle fréquentait aussi l’autre parti, que négligeait encore moins son petit-fils, le duc de Richmond. Ce dernier, devenu anglican après avoir été catholique, jouissait encore de beaucoup de crédit dans les milieux catholiques. Comme son père en 1695, il avait été en 1724 Grand Maître de la Grande Loge de Londres, à une époque où celle-ci, en pleine crise de croissance, désirait sous une tolérance apparente, ménager les loges demeurées indépendantes et orthodoxes, tant anglaises qu’écossaises.
La Loge d’Aubigny, avant de s’installer dans le château de la duchesse, fonctionnait dans son hôtel parisien rue des Petits-Augustins (rue Bonaparte) ou rue des Saints Pères (au coin de la rue de Verneuil). La date du 12 août 1735 est celle de son installation par lord Weymouth, Grand Maître de la Grande Loge de Londres, et de son affiliation par conséquent à celle-ci. Cela montre combien l’opposition entre les deux Maçonneries doit être envisagée avec nuances, ce qui traduit bien l’esprit de tolérance, non exclusif de surenchères et de calculs, proclamé solennellement tant par les Orange et les Hanovre que par les Stuarts. Dès le début, vers 1728, les loges écossaises de France reconnurent comme Grand Maître, Philippe, duc de Wharton, ancien Grand Maître de la Grande Loge de Londres, demeuré du côté des Stuarts. A sa mort, en 1731, la dignité aurait été conférée à Charles Radclyffe, lord Derwentwater, puis de 1733 à 1735 à James Hector MacLean, baronnet d’Ecosse, et de nouveau le 27 décembre 1736 à lord Derwentwater. Les Radclyffe appartenaient à une très ancienne famille qui jusqu’à l’extinction de sa race resta fidèle à la maison des Stuarts et au catholicisme. Il semble que Radclyffe fut initié par le chevalier Ramsay. Essayant de rentrer en Angleterre, il fut fait prisonnier en 1746. Condamné à mort, il fut exécuté le 8 décembre 1746 ; ses dernières paroles furent celles-ci : « Je meurs en vrai, obéissant et humble fils de l’Eglise catholique et apostolique, avec de sincères sentiments d’amour pour mon prochain, et le véritable bon souhait que je fais pour mon cher pays et qu’il ne soit jamais heureux tant qu’il ne rendra pas justice à son roi, le meilleur et le plus calomnié des souverains. Je meurs avec des sentiments de gratitude, de respect et d’amour pour le roi de France, Louis le Bien-Aimé, un nom glorieux. Je recommande à S. M. Très Chrétienne ma chère famille. Je me repens du fond de mon cœur de tous mes péchés et j’ai le ferme espoir d’obtenir le pardon du Dieu Tout-Puissant, par les grâces de son bienheureux fils Jésus-Christ, Notre-Seigneur, auquel je recommande mon âme. »
Cette profession de foi fait éloquemment comprendre quel était l’état d’esprit de ces Ecossais catholiques et stuartistes qui avaient introduit en France la Franc-Maçonnerie de leur pays. Certes, cette Franc-Maçonnerie écossaise avait subi une déviation politique, mais elle demeurait fidèle aux principes traditionnels : le catholicisme et l’indépendance des loges. Cet état d’esprit est nettement affirmé dans ces lignes d’une lettre que Ramsay adressait le 1er avril 1737 au Marquis de Caumont : ‘‘Les malheureuses discordes de Religion, qui embrasèrent et déchirèrent l’Europe dans le XVIe siècle, firent dégénérer notre ordre de la grandeur et de la noblesse de son origine. Pour complaire à la parricide usurpatrice Elisabeth, qui regarda nos loges comme des nids de catholicité, qu’il falloit étouffer, les protestants altérèrent, déguisèrent et dégradèrent plusieurs de nos hiéroglyphes, changèrent nos agapes en Bacchanales et profanèrent nos sacrées assemblées. Mylord comte de Darwentwater, martyr de la Royauté et de la Catholicité, voulut ramener icy tout à son origine, et restituer tout sur l’ancien pied. Les ambassadeurs de Hollande et de George duc d’Hanovre en prirent ombrage, et blasphémant contre ce qu’ils ignorent, s’imaginant que les freemasons catholiques, royalistes et jacobites, ressemblaient aux freemasons hérétiques, apostats et républicains, ils nous blâmèrent d’abord et firent ensuite notre Eloge en criant partout que nous voulions former une neuvième croisade pour rétablir le vray monarque de la Grande-Bretagne. » […]
Une lettre de Ramsay au jacobite Carte, datée du 2 août 1737, semble venir confirmer cette opinion. Ramsay, parlant de son Discours, rédigé l’année précédente, écrit : « J’avais envoyé le discours que j’avais fait pour la réception, à différentes époques, de huit ducs et pairs et de deux cents officiers de premier rang et de la plus haute noblesse, à Sa Grâce le Duc d’Ormond… ». Ce personnage, à qui Ramsay soumettait son texte, n’était-il pas le Grand Maître des loges écossaises de France ? La création de la Grande Loge de Londres en 1717 ne fut qu’une réplique des protestants partisans des Orange puis des Hanovre depuis 1714 à la déviation politique de l’ordre subie par les loges écossaises. L’institution anglaise prit aux loges écossaises de notre pays l’idée de changer délibérément la Maçonnerie opérative en spéculative.